Étendue du devoir d’information de la Banque sur les modalités de mise en œuvre d’une garantie

Droit bancaire

Une clause, insérée dans le contrat de prêt, succincte et non explicite sur les modalités de mise en œuvre de la garantie n’est pas suffisante.

Cass. com., 12 juin 2024, n° 23-11.630, Publié au bulletin.

Lire en ligne :

https://www.doctrine.fr/d/CASS/2024/CASSP1CBC59CCF631A35D0BA1

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000049733681?isSuggest=true

Le devoir d’information de la Banque

Se fondant sur la responsabilité contractuelle de droit commun, l’article 1231-1 du code civil, la Cour de cassation considère que la banque dispensatrice de crédit est tenue d’une obligation d’informer l’emprunteur sur les modalités de mise en œuvre d’une garantie souscrite au profit de celle-ci.

À l’occasion d’une décision rendue cet été, elle apporte un éclairage intéressant sur l’étendue de cette obligation d’information et sur ce qui ne constitue pas une information suffisante.

Les faits

Dans cette affaire, une banque avait consenti un prêt d’un montant de 400.000 euros à une société, l’opération étant garantie avec une participation au risque de la société BPI France à hauteur de 50 % (ce sont les garanties dites « BPI France »).

À la suite d’échéances demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme. Assignée en paiement, la société a invoqué un manquement de la banque à son obligation d’information relative à la garantie.

Dans ce cas particulier, le problème concernait le protocole de mise en œuvre de la garantie.

En effet, les garanties BPI France sont singulières : elles épuisent d’abord les recours contre le débiteur et ses cautions, puis le garant couvre les montants impayés en fonction du risque. BPI France le détaille ainsi sur son site internet :

 « Bpifrance n’intervient pas pour assurer l’entrepreneur contre le risque de défaillance de son entreprise, mais garantit ses banques pour une partie de leur perte finale éventuelle sur des opérations de crédit précisément identifiées. Il ne s’agit pas d’une garantie supplémentaire mais d’un partage de la perte finale avec la banque. La banque conserve toujours une part de risque propre dans le crédit. La garantie ne bénéficie qu’à l’établissement financier. Elle ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment par l’emprunteur et ses garants personnels, pour contester tout ou partie de leur dette. La banque retient les garanties usuelles et, si l’opération de crédit se déroule mal par suite de la défaillance de l’entreprise, elle prévient Bpifrance, réalise les sûretés et appelle Bpifrance sur le solde, pour la quotité garantie par Bpifrance ».

Or, la société croyait que BPI France aurait versé les fonds au prorata du risque avant d’être assignée en paiement.

Les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel

La Cour d’appel de Limoges a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société au titre du manquement de la banque à son obligation d’information en retenant que la clause de garantie stipulée au contrat de prêt était parfaitement claire en ce qu’elle bénéficiait au prêteur, qu’une garantie n’est par définition que subsidiaire et que la communication d’une notice n’est pas utile.

La Cour d’appel s’était fondée sur la stipulation du contrat de prêt suivante : « Garanties : à la sûreté et remboursement du présent prêt en principal et intérêts, frais et autres accessoires et de l’exécution de toutes les obligations du présent contrat, l’emprunteur fournit au prêteur la garantie désignée ci-dessous : Bpifrance pour une quotité de 50 % ».

La décision de la Cour de cassation

Pour la Cour de cassation, cette information, qui n’expliquait pas le mécanisme de la garantie et qui pouvait donc laisser penser à l’emprunteur que Bpifrance verserait les sommes en amont de toute voie de recours contre lui, n’était pas suffisante.

Contrairement à ce que soutenait la Cour d’appel de Limoges, la Cour de cassation ne semble pas considérer, sous l’angle du devoir d’information, qu’une garantie « n’est par définition que subsidiaire et que la communication d’une notice n’est pas utile ».

Il est donc essentiel de fournir des informations plus explicites. Cela souligne l’importance d’une documentation précise, en particulier en raison du nombre croissant de ce type de garanties.

Cette décision met en lumière combien il est crucial pour les établissements bancaires de prouver qu’ils ont correctement rempli leur obligation d’information, notamment par la conservation de documents péri-contractuels justifiant cette conformité. Cela deviendra probablement un enjeu majeur devant la cour d’appel de renvoi.

Ainsi, cet arrêt offre un éclairage particulièrement pertinent sur l’étendue de l’obligation d’information. Aborder cette question sous l’angle du fonctionnement d’une garantie appelle à une prudence accrue pour les services juridiques des banques et une argumentation à envisager pour les sociétés en situation d’impayés.

Les documentations fournies aux clients doivent être adaptées pour suivre cette évolution jurisprudentielle clairement établie.

Le texte intégral de la décision

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 juin 2024, 23-11.630, Publié au bulletin

Cour de cassation – Chambre commerciale

N° de pourvoi : 23-11.630

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00354

Publié au bulletin

Solution : Cassation

Audience publique du mercredi 12 juin 2024

Décision attaquée : Cour d’appel de Limoges, du 14 décembre 2022

Président

M. Vigneau

Avocat(s)

SARL Le Prado – Gilbert, SCP Capron

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

CC

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 12 juin 2024

Cassation

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 354 F-B

Pourvoi n° S 23-11.630

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 JUIN 2024

1°/ La société Gris Ceram, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [X] [G], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Gris Ceram,

ont formé le pourvoi n° S 23-11.630 contre l’arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la cour d’appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige les opposant à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado – Gilbert, avocat de la société Gris Ceram et de la société BTSG, ès qualités, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest, après débats en l’audience publique du 30 avril 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Aubac, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Reprise d’instance

1. Il est donné acte à la SCP BTSG de sa reprise d’instance, en qualité de liquidateur de la société Gris Ceram, mise en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Limoges du 10 janvier 2024.

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Limoges, 14 décembre 2022), la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest (la banque) a consenti à la société Gris Ceram (la société) un prêt d’un montant de 400 000 euros avec pour garantie la participation au risque de la société Bpifrance à hauteur de 50 %.

3. Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme, puis a assigné la société en paiement, laquelle a invoqué un manquement de la banque à son obligation d’information relative à la garantie.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la banque une certaine somme au titre du prêt et de rejeter ses demandes, alors « que l’établissement bancaire qui accorde un crédit est tenu d’une obligation d’information à l’égard de l’emprunteur et qu’il lui appartient de lui préciser que la garantie de Bpifrance ne bénéficie qu’à l’établissement intervenant, qu’elle ne peut être invoquée par le bénéficiaire et ses garants et qu’elle n’intervient que lorsque toutes les poursuites sont épuisées ; que pour débouter la société Gris Ceram de sa demande reconventionnelle fondée sur le manquement de la Caisse à son devoir de l’informer sur les conditions de la garantie Bpifrance, la cour d’appel avait donc cité les termes de la stipulation suivante :  » « Garanties : à la sûreté et remboursement du présent prêt en principal et intérêts, frais et autres accessoires et de l’exécution de toutes les obligations du présent contrat, l’Emprunteur fournit au Prêteur la garantie désignée ci-dessous : BPI France [?] pour une quotité de 50,00% », en a déduit que « cette garantie bénéficie clairement au prêteur et non à elle-même puisqu’est indiqué : « l’Emprunteur fournit au Prêteur la (les) garantie(s) ». Cette clause n’est donc pas sujette à interprétation » ; qu’en statuant, par ces motifs, impropres à établir que la Caisse avait informé sa cliente du mécanisme de la garantie Bpifrance selon lequel la banque créancière dont le prêt n’a pas été intégralement remboursé, poursuit l’emprunteur et ses cautions en paiement et, au terme de ces poursuites, reçoit de Bpifrance les sommes non recouvrées, au prorata de la part de risque de cette dernière, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147, devenu 1231-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1231-1 du code civil :

5. Il résulte de ce texte que la banque dispensatrice de crédit est tenue d’une obligation d’informer l’emprunteur sur les modalités de mise en oeuvre d’une garantie souscrite au profit de celle-ci.

6. Pour rejeter la demande de dommages et intérêts de la société à l’encontre de la banque pour manquement à son obligation d’information, l’arrêt retient que la clause de garantie insérée au contrat de prêt est parfaitement claire en ce qu’elle bénéficie au prêteur, qu’une garantie n’est par définition que subsidiaire et que la communication d’une notice n’est pas utile.

7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la banque avait informé la société des modalités de la garantie de la société Bpifrance et, en particulier, de son caractère subsidiaire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 décembre 2022, entre les parties, par la cour d’appel de Limoges ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Bourges ;

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Centre Ouest et la condamne à payer à la société Gris Ceram, représentée par son liquidateur, la société BTSG, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze juin deux mille vingt-quatre. ECLI:FR:CCASS:2024:CO00354

Analyse

Titrages et résumés

Cassation civil – BANQUE – Faute – Manquement à l’obligation d’information du client – Applications diverses – Obligation d’informer l’emprunteur sur les modalités de mise en oeuvre d’une garantie

Il résulte de l’article 1231-1 du code civil que la banque dispensatrice de crédit est tenue d’une obligation d’informer l’emprunteur sur les modalités de mise en oeuvre d’une garantie souscrite au profit de celle-ci

Textes appliqués

Article 1231-1 du code civil.

Mikaël Le Bot - Avocat Expert en Droit Bancaire à Paris