Introduction
La fraude aux moyens de paiement est un fléau qui ne cesse de croître, notamment avec l’essor des technologies numériques. Les fraudeurs rivalisent d’ingéniosité pour contourner les systèmes de sécurité des banques et des prestataires de services de paiement (PSP). Face à cette menace, les institutions financières et les législateurs cherchent constamment des solutions pour protéger les consommateurs et les entreprises. Parmi ces solutions, la procédure de recall, ou retour de fonds, se distingue comme un mécanisme à envisager dans la mise en cause de la responsabilité des PSP.
Qu’est-ce que la Procédure de Recall ?
La procédure de recall permet d’annuler un virement en cas d’erreur ou de fraude. Elle consiste pour le donneur d’ordre (le client victime de la fraude) à demander à son PSP (sa banque) de rappeler les fonds auprès du PSP du bénéficiaire du virement (la banque eu sein de laquelle les fonds ont été transférés). Bien que cette procédure ne soit pas obligatoire et reste mal connue du grand public, elle commence à générer du contentieux, notamment en raison de sa mise en œuvre complexe et des obstacles potentiels à la récupération des fonds.
Comment déclencher une procédure de « recall » auprès de sa banque en cas de fraude aux moyens de paiement ?
Lorsque vous signalez la fraude à votre banque, il suffit de demander par écrit à votre banque de lancer une procédure de recall auprès de la banque du bénéficiaire. Aucun formalisme n’est requis. Pour des questions de célérité et de preuve, privilégiez le courriel ou la messagerie de votre espace sécurisé. Fournissez le plus rapidement possible les justificatifs requis par la banque et tenez-vous informé de l’état d’avancement de la procédure.
Cadre Juridique de la Procédure de Recall
1. Le Code Monétaire et Financier
Le Code monétaire et financier ne régit pas spécifiquement la procédure de recall. Toutefois, il contient des dispositions qui peuvent s’appliquer indirectement à cette procédure. Par exemple, l’article L. 133-21 du Code monétaire et financier prévoit que le PSP du payeur doit s’efforcer de récupérer les fonds engagés dans une opération de paiement en cas d’erreur ou de fraude. Cependant, cette disposition n’entraîne pas le retour automatique des fonds, et plusieurs éléments peuvent faire obstacle à un tel retour, comme l’absence de provision suffisante sur le compte du bénéficiaire.
2. Le SEPA Credit Transfer Scheme Rulebook
Le SEPA Credit Transfer Scheme Rulebook, adopté par le Conseil européen des paiements, encadre également la procédure de recall.
Il prévoit une procédure de traitement d’une demande de retour de fonds suivant les dispositions suivantes :
« Article CT 02.01 : avant d’initier un recall la banque de l’émetteur doit vérifier si le virement SEPA a été mal exécuté pour l’une des causes suivantes : Doublon, Problème technique ou Fraude
Article CT 02.03 : la banque du bénéficiaire doit traiter le recall dès réception de la requête et transmettre une réponse positive ou négative dans les 15 jours ;
Si le virement SEPA a déjà été crédité sur le compte du bénéficiaire, la banque de celui-ci pourra, en fonction de la législation du pays et/ou de la convention de compte conclue avec le bénéficiaire :
— générer immédiatement une réponse positive en débitant le compte du bénéficiaire,
— décider si nécessaire de demander au bénéficiaire une autorisation de débit du compte
— être obligée de recueillir l’autorisation du bénéficiaire pour débiter le compte Intimé n°1 ».
Ainsi, selon ce document, la banque de l’émetteur doit vérifier si le virement SEPA a été mal exécuté pour l’une des causes suivantes : doublon, problème technique ou fraude.
La banque du bénéficiaire doit traiter le recall dès réception de la requête et transmettre une réponse positive ou négative dans les quinze jours. Cependant, la réussite de la procédure de recall n’est pas garantie et dépend de la législation du pays et des conventions de compte conclues entre le PSP du bénéficiaire et ce dernier.
Jurisprudence et Enjeux Pratiques
1. Irrévocabilité des Ordres de Paiement
Le principe de l’irrévocabilité des ordres de paiement est le principal obstacle à la mise en œuvre de la procédure de recall. Selon l’article L. 133-8 du Code monétaire et financier, un ordre de paiement ne peut être révoqué une fois qu’il a été reçu par le PSP du payeur, sauf disposition contraire. Cette règle a été confirmée par plusieurs décisions de justice, qui ont rejeté les demandes de recall en l’absence de stipulations contractuelles contraires.
Toutefois, la plupart des convention de compte laissent actuellement la possibilité au banquier du bénéficiaire de répondre positivement à une procédure de recall (notamment en cas d’erreur ou de fraude avérée) sans toutefois le contraindre, le bénéficiaire fournissant un accord tacite préalable pour une contre-passation dans les circonstances précisées par la convention de compte.
En outre, la jurisprudence fait une stricte application de l’article L133-21 du code monétaire et financier, en rappelant que si l’IBAN fourni par la client est inexact, la banque n’est pas responsable de la mauvaise exécution de l’opération de paiement qui en est la conséquence et en considérant que la Banque réceptrice de l’ordre de virement n’a pas à vérifier que l’IBAN du virement dont elle est réceptrice coïncide avec le numéro de compte de la société qui est censée en être le bénéficiaire (Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-22.336, Bull. 2018, IV, n° 8).
À ce titre, l’alinéa 5 de l’article L133-21 du code monétaire et financier dispose également que « Si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l’exécution correcte de l’ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement”.
2. Responsabilité des PSP
Toutefois, les PSP peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de manquement à leurs obligations dans le cadre de la procédure de recall. Par exemple, la cour d’appel d’Agen a retenu la responsabilité d’une banque bénéficiaire pour ne pas avoir transmis rapidement les informations utiles à la récupération des fonds, causant ainsi un préjudice matériel de perte de chance à la société victime de fraude (CA Agen, ch. civ., 5 juill. 2023, n° 22/00694).
Dans cette affaire, la demande de remboursement a été formulée le 17 mai 2018 par la banque émettrice, mais la banque du bénéficiaire a attendu le 29 mai 2018 pour demander à la banque émettrice une copie de la plainte et n’a répondu à la requête de la banque du payeur que le 30 mai 2018 en lui indiquant que les fonds versés sur le compte du bénéficiaire du virement n’étaient plus, à cette date, disponibles pour procéder à un remboursement.
La Cour juge que « si la banque du bénéficiaire dispose d’un délai de 15 jours pour donner une réponse positive ou négative à la demande de restitution des fonds, elle doit immédiatement traiter la requête formulée par la banque du payeur”. Par conséquent, le délai de réponse de la banque du bénéficiaire, qui n’avait pas immédiatement réagit mais avait attendu 13 jours pour réagir constitue « un manquement à l’obligation de diligence qui s’imposait à elle ».
La décision souligne que la charge de la preuve incombe au prestataire de services de paiement concerné. Les juges ajoutent que « le fait d’invoquer dans ses écritures le secret bancaire, lequel ne saurait être opposé au regard des exigences posées par le texte susvisé, caractérise l’existence d’un atermoiement injustifié ».
Les juges relèvent également qu’« aucune disposition légale ou réglementaire n’exige que la requête adressée à la banque du bénéficiaire soit accompagnée d’une copie du dépôt de plainte quand bien même la procédure de demande de retour de fonds serait initiée pour fraude. L’absence de pareille exigence se justifie d’autant plus que, dans le mécanisme du Recall SEPA, la recevabilité de la demande de retour de fonds faite par le payeur auprès de sa banque est d’abord vérifiée par cette dernière à qui il appartient ensuite de décider, sous sa responsabilité, d’y donner suite en la transmettant à la banque du bénéficiaire”.
La Cour estime que « quand bien même la [banque émettrice] n’était pas légalement tenue de procéder au blocage des fonds, son inertie fautive apparaît en relation de causalité directe et certaine avec la privation pour la [société victime] de la possibilité d’obtenir le retour des fonds disponibles au jour de la requête de la [banque émettrice] (17 mai 2018), laquelle est constitutive d’un préjudice de perte de chance ».
Pour évaluer le préjudice matériel de la société victime de la fraude, la Cour a estimé qu’il convenait de prendre en compte non seulement le délai de réaction de la banque du bénéficiaire face à la fraude et son manque d’informations pour récupérer les fonds, mais aussi la négligence de la société victime qui n’a pas vérifié la transaction avec un inconnu et a choisi un mode de paiement non sécurisé. En conséquence, le préjudice est estimé à 50% du montant du virement, soit 2.000 euros (4.000 euros x 0,5).
Conclusion
La procédure de recall représente un outil juridique supplémentaire à envisager pour la mise en cause de la responsabilité des PSP dans le cadre des affaires de fraude aux moyens de paiement. Cependant, sa mise en œuvre reste complexe et incertaine, en raison des obstacles juridiques et pratiques. Les prochaines décisions de justice apporteront certainement des précisions utiles et nuanceront peut-être cette perspective.