L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 novembre 2025 (Pourvoi n° 23-19.203) est riche en enseignements. Si l’arrêt est est intéressant pour sa clarification sur l’obligation d’information annuelle qui subsiste même après la clôture d’un compte courant, il contient également une précision procédurale importante, abordée aux points 8 et 9 de la motivation, concernant la qualification procédurale du moyen de défense fondé sur la déchéance des intérêts pour défaut d’information.
Ce point concerne le pourvoi incident formé par la banque et vise la condamnation de M. [N] à payer la somme de 36 000 euros au titre de l’engagement de caution de 2016, avec intérêts au taux légal à compter du 18 février 2019, résultant de la déchéance du droit aux intérêts prononcée par la Cour d’appel de Caen.
Com. 26 novembre 2025, n° 23-19.203, F-B, Publié au Bulletin
Le débat procédural : prétention vs. moyen de défense
Le contentieux soulevé par la banque devant la Cour de cassation reposait sur une question de forme : M. [N], le garant, n’avait pas explicitement demandé la déchéance du droit aux intérêts de la banque dans le dispositif (la partie de ses conclusions qui énumère les demandes et prétentions) de ses conclusions d’appel.
La banque reprochait à la Cour d’appel de Caen (arrêt du 30 mars 2023) d’avoir outrepassé ses pouvoirs en prononçant cette déchéance. L’argument de la banque était le suivant :
- La Cour d’appel ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions du demandeur.
- Dans ses conclusions d’appel, M. [N] ne demandait pas la déchéance des intérêts, mais seulement que les intérêts payés par le débiteur principal soient déduits de la créance principale.
- En prononçant la déchéance des intérêts pour le cautionnement du 21 juillet 2016, la Cour d’appel aurait violé les articles 4 et 954 du Code de procédure civile.
Ce qu’est un « moyen de défense au fond » et pourquoi la qualification compte
Un moyen de défense au fond tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire, et échappe notamment aux contraintes de prescription qui affectent les demandes, selon la jurisprudence civile citant les articles 64 et 71 du Code de procédure civile (Cass. com., 4 nov. 2021, n° 20-14.571 F-D) et (Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10.103 FS-PBI)
L’interprétation de la Cour de cassation
C’est ici que la Cour de cassation apporte une clarification sur le droit processuel du cautionnement (Points 8 et 9 de l’arrêt).
La Cour rappelle, en se fondant sur l’article 71 du Code de procédure civile, la distinction cruciale entre une « prétention » (demande formulée par une partie) et un « moyen de défense au fond » (argument juridique visant à faire rejeter la demande adverse), dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure ( (Cass. com., 4 nov. 2021, n° 20-14.571 F-D).
La Cour statue que :
- Lorsqu’une caution oppose la déchéance des intérêts au créancier (la banque), en raison du défaut d’information annuelle (conformément à l’ancien article L. 313-22 du code monétaire et financier) pour obtenir le rejet de la demande de paiement des intérêts échus, elle invoque un moyen de défense au fond.
- Par conséquent, la caution n’est pas tenue d’énoncer ce moyen au dispositif de ses dernières conclusions.
- L’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, invoqué par la banque, ne s’applique qu’aux prétentions (les demandes formelles), et non aux moyens de défense.
En conclusion de cet examen, la Cour de cassation juge que le moyen de la banque, qui soutenait l’inverse (à savoir que la déchéance des intérêts devait figurer au dispositif), n’est pas fondé.
L’impact pratique pour la caution
Le défaut d’information peut constituer un « moyen de défense au fond » lorsqu’un texte spécial et sa jurisprudence de sanction font du manquement un motif de rejet (inopposabilité d’intérêts, déchéance) de la prétention adverse, typiquement pour l’information annuelle des cautions (aujourd’hui C. civ., art. 2302), solution non soumise à prescription selon Cass. com., 4 nov. 2021, n° 20-14.571 F-D.
En revanche, pour le devoir d’information précontractuel de droit commun (C. civ., art. 1112-1) et la plupart des obligations d’information du droit de la consommation, le manquement appelle soit une action en responsabilité délictuelle, soit une demande de nullité pour vice du consentement (et parfois, en consommation, une nullité déduite du caractère essentiel de l’information manquante), ce qui n’est pas, par nature, un simple moyen de défense au fond, même si la nullité peut être opposée en défense selon le cas.
Cette position procédurale est fondamentale car elle renforce la protection de la caution personne physique :
- Simplification de la défense : La caution n’a pas besoin de formuler une demande formelle et technique dans le dispositif pour que le juge examine le manquement à l’obligation d’information annuelle. Il suffit que cet argument soit développé dans le corps de ses écritures pour constituer un moyen de défense au fond contre la demande de paiement d’intérêts de la banque.
- Contrôle d’office (ou presque) : Même si la sanction (la déchéance) est sévère pour le créancier, elle s’inscrit dans un cadre légal impératif (Article L. 313-22 CMF, alors applicable). La Cour de cassation confirme que la déchéance des intérêts est un mécanisme de défense naturelle de la caution contre une créance qui n’est pas complètement exigible en raison du manquement du créancier.
En d’autres termes, si la banque réclame la dette, incluant le principal et les intérêts, la caution n’a qu’à soulever le défaut d’information pour faire tomber la partie des intérêts. Cet argument agit comme un bouclier juridique contre la réclamation des intérêts, un rôle typique d’un moyen de défense au fond.


