Le droit du crédit à la consommation est un domaine où l’équilibre contractuel entre le prêteur professionnel et le consommateur emprunteur est constamment examiné par les juridictions. Une récente décision de la Cour d’appel de Colmar (CA Colmar, ch. 3 a, 16 juin 2025, n° 24/02617) apporte des éclaircissements essentiels sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme et sur le recours subsidiaire à la résolution judiciaire du contrat en cas de défaillance de l’emprunteur.
Cet article vise à décrypter les motifs qui ont conduit la Cour à réputer la clause de déchéance non écrite, tout en validant la rupture du contrat sur la base du droit commun des obligations.
I. Le Caractère Abusif de la Clause de Déchéance du Terme
La déchéance du terme est le mécanisme contractuel par lequel, en cas d’incident de paiement, le prêteur est autorisé à exiger le remboursement immédiat de la totalité du capital restant dû, ainsi que des intérêts et indemnités prévues.
Dans l’affaire examinée (opposant notamment la S.A. Loisirs Finance à un emprunteur, M. [P]), la clause de déchéance du terme prévoyait la résiliation de plein droit du contrat de prêt après l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée en cas de « non-paiement de toute somme due » au titre du contrat.
Le Cadre Légal et Jurisprudentiel
L’article L212-1 du code de la consommation stipule que sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Pour apprécier le caractère abusif de cette clause, le juge national doit se référer aux critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Selon ces critères, l’examen doit porter sur plusieurs aspects non cumulatifs mais faisant partie d’un ensemble de circonstances entourant la conclusion du contrat :
- Si la faculté laissée au professionnel dépend de l’inexécution d’une obligation essentielle.
- Si cette inexécution revêt un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.
- Si la clause déroge aux règles de droit commun en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques.
- Si le consommateur dispose de moyens adéquats pour remédier aux effets de cette exigibilité.
Les Critiques de la Clause Contractuelle
La Cour d’appel de Colmar a jugé la clause litigieuse abusive pour plusieurs raisons, réfutant l’argument du prêteur selon lequel il s’agissait d’une simple reprise des dispositions légales de l’article L312-39 du Code de la consommation.
En l’espèce, la clause a été jugée défaillante car :
- Elle n’était pas la reprise des dispositions légales mais un mécanisme contractuel distinct de celui régissant les conséquences financières de la défaillance.
- Elle n’informait pas l’emprunteur de sa faculté de contester la clause.
- Elle ne précisait ni le nombre d’échéances impayées pouvant justifier la résiliation, ni le délai de préavis raisonnable permettant au consommateur de régulariser sa dette.
- Elle laissait à la libre appréciation du prêteur tant le montant des impayés que la durée de la mise en demeure.
La Cour rappelle un principe fondamental : l’appréciation du caractère abusif d’une clause s’effectue au regard de la clause elle-même, et non en fonction de la mise en œuvre que le créancier en fait. Il importe donc peu que le prêteur ait, a posteriori, adressé une mise en demeure accordant un délai (en l’occurrence, dix jours), puisque la clause, de par sa rédaction initiale, créait déjà un déséquilibre significatif au détriment du consommateur.
Conséquence juridique : La clause de déchéance du terme est réputée non écrite. Par conséquent, la déchéance du terme prononcée par le prêteur (effective au 7 novembre 2022) ne pouvait reposer sur cette clause contractuelle.
II. Le Recours Subsidiaire à la Résolution Judiciaire du Contrat
Suite à l’annulation de la déchéance du terme contractuelle, le prêteur a sollicité, à titre subsidiaire, le constat ou le prononcé de la résolution du contrat de prêt avec effet au 7 novembre 2022.
Fondement du Droit Commun
Lorsque la clause résolutoire est jugée non écrite, le prêteur peut toujours se prévaloir du droit commun des contrats pour obtenir la résolution.
La résolution peut résulter de trois sources :
- L’application d’une clause résolutoire (inapplicable ici).
- Une notification du créancier au débiteur (possible si mise en demeure préalable conforme à l’article 1226 du Code civil, ce qui n’était pas le cas ici, car la lettre visait la déchéance du terme et non la résiliation légale).
- Une décision de justice.
L’article 1227 du Code civil permet en toute hypothèse de demander la résolution en justice en cas d’inexécution contractuelle. Le juge est alors compétent pour constater ou prononcer la résolution.
L’Inexécution Suffisamment Grave
Pour que la résolution judiciaire soit prononcée, il faut que l’inexécution de l’obligation par le débiteur soit suffisamment grave.
Dans le cas présent, la Cour a constaté que l’emprunteur n’avait plus réglé aucune mensualité après juin 2022 et ne justifiait d’aucune démarche pour proposer un plan d’apurement amiable. Le remboursement des échéances est l’obligation contractuelle essentielle du prêteur.
Le défaut de paiement prolongé des échéances (notamment celles de juin, juillet, août et septembre 2022, justifiant la mise en demeure du 11 octobre 2022) a été jugé suffisamment grave pour justifier le prononcé de la résolution du contrat.
Conséquences de la Résolution Judiciaire
La Cour d’appel a, en conséquence, prononcé la résolution du contrat avec effet au 7 novembre 2022.
Par substitution de motifs, le jugement de première instance a été confirmé quant aux sommes dues, qui correspondent, en application des articles 1230 du Code civil et L312-39 du Code de la consommation, aux éléments suivants :
- Les mensualités échues impayées.
- Le capital restant dû.
- L’indemnité légale de 8 %.
En substance, si la clause contractuelle d’accélération de la dette était illégale, l’inexécution grave et prolongée des obligations de l’emprunteur permettait néanmoins au prêteur d’obtenir la rupture du contrat par voie judiciaire.
FAQ sur la Déchéance du Terme Abusive et la Résolution Judiciaire
Question | Jurisprudence de la CA Colmar (16 juin 2025) |
---|---|
Qu’est-ce qui rend une clause de déchéance du terme abusive ? | Une clause est abusive si elle crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur. C’est le cas lorsqu’elle ne précise pas le nombre d’échéances impayées justifiant la résiliation, qu’elle ne mentionne pas de délai de préavis raisonnable pour régulariser la situation, et qu’elle laisse au prêteur une discrétion excessive dans son application. |
Pourquoi le fait que le prêteur ait envoyé une mise en demeure ne suffit-il pas à valider la clause ? | L’appréciation du caractère abusif se fait au regard de la rédaction de la clause elle-même, et non de la manière dont le prêteur l’a appliquée. Si la clause est intrinsèquement abusive, elle est réputée non écrite, même si le créancier a agi de bonne foi a posteriori. |
Si la clause de déchéance du terme est nulle, le prêteur perd-il tout droit d’exiger le remboursement anticipé ? | Non. Si la clause est réputée non écrite, le prêteur ne peut pas s’en prévaloir, mais il peut toujours demander la résolution du contrat en justice (résolution judiciaire) sur la base du droit commun des obligations (articles 1224 et 1227 du Code civil). |
Quel est le critère clé pour que la résolution judiciaire soit prononcée ? | Le juge doit constater une inexécution suffisamment grave des obligations du débiteur. Le défaut de paiement prolongé et précoce des échéances est considéré comme une inexécution grave, car le remboursement est l’obligation contractuelle essentielle de l’emprunteur. |
Quelles sont les conséquences de la résolution judiciaire ? | Le contrat est rompu à la date fixée par le juge (ici, le 7 novembre 2022). L’emprunteur est condamné à payer l’intégralité des sommes dues : les mensualités échues impayées, le capital restant dû, et l’indemnité légale (8 %). |
La décision de la Cour d’appel était-elle une confirmation pure et simple du jugement initial ? | Non. La Cour a confirmé le jugement quant au montant de la condamnation, mais elle a opéré une substitution de motifs, basant l’exigibilité de la dette sur la résolution judiciaire du contrat et non sur la déchéance du terme contractuelle (qui, elle, a été invalidée). |