Clauses abusives et surendettement : une protection renforcée des consommateurs en difficulté financière – CJUE, 3 juillet 2025, Wiszkier, n° C-582/23

La Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs est le pilier de cette protection. Son application, et en particulier le rôle du juge national, est régulièrement précisée par la CJUE.

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 3 juillet 2025 dans l’affaire C-582/23 [Wiszkier], mis en perspective avec des exemples jurisprudentiels français, notamment des Cours d’appel de Rouen et de Versailles, offre un éclairage indispensable sur le contrôle des clauses abusives dans les contrats de crédit, particulièrement dans le cadre des procédures de surendettement des particuliers.

CJUE, 3 juillet 2025, Wiszkier, n° C-582/23

CA Rouen, ch. de la proximité, 16 mars 2017, n° 16/01849

Cour d’appel de Versailles, Chambre civile 1 8, 6 septembre 2024, n° 23/07296

I. Les Précisions de la CJUE : L’Affaire [Wiszkier] (C-582/23)

L’affaire [Wiszkier] (C-582/23), rendue le 3 juillet 2025, concerne la faillite personnelle d’un consommateur polonais, R.S., dont une part significative des dettes provenait d’un contrat de crédit hypothécaire indexé sur le franc suisse. La liste de ses créances, incluant celles de la banque G. S.A., avait été approuvée par un juge-commissaire, et le consommateur avait reconnu l’ensemble de ces créances. Le tribunal de la faillite, chargé d’établir un plan de remboursement, s’est interrogé sur le caractère potentiellement abusif des clauses du contrat de crédit, dont l’examen n’avait pas eu lieu précédemment.

La Cour a apporté deux clarifications majeures :

L’Obligation d’Examen d’Office du Juge (malgré l’approbation des Créances)

  • La CJUE réaffirme que l’article 6, paragraphe 1, de la Directive 93/13 est une disposition impérative, équivalente à une norme d’ordre public national. Le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires. Cette obligation vise à remédier au déséquilibre entre le consommateur et le professionnel.
  • La Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui empêche le tribunal de la faillite d’apprécier d’office le caractère abusif de clauses contractuelles et le lie à une liste de créances déjà approuvée par une autre instance juridictionnelle (sans examen préalable des clauses) est contraire au principe d’effectivité du droit de l’Union.
  • Le fait que la liste des créances ait acquis l’autorité de la chose jugée ne fait pas nécessairement obstacle à un examen d’office. Un contrôle efficace du caractère abusif ne saurait être garanti si l’autorité de la chose jugée s’attachait à des décisions juridictionnelles n’ayant pas intégré un tel contrôle. Le tribunal de la faillite doit donc pouvoir apprécier ce caractère abusif et en tirer les conséquences nécessaires, sauf si le juge précédent avait explicitement procédé à cet examen.
  • Le fait pour le tribunal de surseoir à statuer et de renvoyer la question à une autre instance est jugé susceptible de dissuader le failli de faire valoir ses droits, en raison de la prolongation de la procédure et de sa situation financière précaire, rendant l’application de la directive excessivement difficile. La reconnaissance des créances par le consommateur ou son absence d’opposition, sans avoir été informé du caractère potentiellement abusif des clauses et sans renonciation libre et éclairée, ne constitue pas une passivité totale l’empêchant de faire valoir ses droits.

La nécessité de mesures provisoires

  • La Cour a également affirmé que les articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de la Directive 93/13 s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet pas d’ordonner des mesures provisoires dans le cadre d’une procédure de faillite.
  • La pleine efficacité des droits conférés au consommateur par la directive requiert que le juge national puisse octroyer des mesures provisoires appropriées. Ces mesures sont nécessaires lorsqu’il existe un risque que le consommateur subisse un préjudice financier important (par exemple, des retenues élevées sur salaire) pendant la durée de la procédure. Cela vise à éviter de dissuader le consommateur de faire valoir ses droits.
  • Le tribunal de la faillite doit pouvoir apprécier, au cas par cas, si de telles mesures (comme la réduction des retenues sur salaire) sont nécessaires pour garantir la protection du consommateur, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris la situation financière du failli et l’existence d’indices d’abus.

II. La Jurisprudence Française en synergie et en nuance

Le droit français intègre le principe de l’examen d’office des clauses abusives, mais sa mise en œuvre dans le cadre spécifique du surendettement et des procédures d’exécution peut connaître des nuances.

Le principe général du pouvoir d’office du Juge en droit français :

L’article R.632-1 du Code de la consommation dispose que « Le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application. Il écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat ». Cette disposition est une transposition directe de l’obligation européenne et consacre le pouvoir d’office du juge national en la matière.

L’application du pouvoir d’office dans le surendettement : une confirmation (CA Rouen, ch. de la proximité, 16 mars 2017, n° 16/01849)

La Cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 16 mars 2017 (n° 16/01849), a confirmé la décision du Tribunal d’instance d’Évreux dans une affaire de surendettement concernant un véhicule financé par un prêt de la SA CREDIPAR.

La Cour d’appel a estimé que la clause de réserve de propriété avec subrogation au profit du prêteur, telle que figurant dans le contrat de crédit de décembre 2013, devait être « considérée comme une clause abusive et écartée d’office » en application de l’article L.141-4 (devenu R.632-1) du Code de la consommation. La cour s’est appuyée sur un avis de la Cour de cassation du 28 novembre 2016.

Cette décision illustre concrètement le pouvoir du juge du surendettement de relever d’office le caractère abusif d’une clause affectant une créance dans le cadre d’un plan de redressement, et ce, avant toute procédure d’exécution définitive des créances litigieuses.

Les limites du pouvoir d’Office face à l’autorité de la chose jugée et à la sécurité juridique des exécutions (Cour d’appel de Versailles, Chambre civile 1 8, 6 septembre 2024, n° 23/07296)

La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 6 septembre 2024 (n° 23/07296), a examiné le cas d’une consommatrice, Mme [N], contestant une créance du CFCAL après une procédure de saisie immobilière et d’adjudication déjà achevée. Elle invoquait le caractère abusif de la clause de déchéance du terme.

La Cour de Versailles a confirmé la position du premier juge selon laquelle le juge du surendettement n’était pas compétent pour examiner le caractère abusif de la clause de déchéance du terme dès lors que la procédure d’exécution immobilière était « définitivement achevée » et le bien vendu sur adjudication et le prix distribué.

La Cour a invoqué le principe de l’autorité de la chose jugée et la sécurité juridique des transferts de propriété, rappelant que la CJUE elle-même a précisé qu’une législation nationale peut ne pas autoriser le juge à examiner le caractère abusif d’une clause contractuelle lorsqu’une précédente procédure d’exécution a été menée à son terme et a transféré des droits de propriété à un tiers (CJUE, 17 mai 2022, Ibercaja Banco, aff. C-600/19 points 52 et 59).

Toutefois, la Cour de Versailles précise que si Mme [N] peut toujours « invoquer le caractère abusif de la clause contractuelle litigieuse afin d’obtenir réparation du préjudice que l’application de cette clause lui a fait subir », une telle demande ne relève pas de la compétence du juge du surendettement. Cette nuance est cruciale : la possibilité de contester la clause pour obtenir réparation financière demeure, mais pas la remise en cause d’une exécution immobilière achevée pour annuler le transfert de propriété.

III. Implications pour les consommateurs

Ces décisions soulignent l’importance de plusieurs points pour les consommateurs :

  • Renforcement de la protection : L’arrêt [Wiszkier] offre un levier puissant pour la défense des consommateurs en situation de surendettement ou de faillite. Il est impératif de systématiser l’examen des clauses contractuelles sous-jacentes aux créances, même si celles-ci ont été reconnues ou inscrites sur une liste.
  • Demande de mesures provisoires : L’arrêt de la CJUE met en évidence la possibilité d’obtenir des mesures provisoires pour alléger la situation du débiteur pendant l’examen du caractère abusif des clauses, ce qui est un outil précieux pour garantir la protection effective du consommateur.
  • Stratégie procédurale et temporalité : Bien que la Cour de Versailles rappelle les limites du juge du surendettement une fois qu’une procédure d’exécution forcée est achevée et a transféré la propriété, l’arrêt [Wiszkier] de la CJUE insiste sur la nécessité d’un examen d’office avant la clôture de la procédure de faillite ou surendettement si cet examen n’a pas eu lieu auparavant. Il est crucial de soulever le caractère abusif des clauses le plus tôt possible dans la procédure. En cas d’exécution forcée achevée, l’action pour réparation du préjudice financier reste ouverte, bien que devant une autre juridiction.

En conclusion, le paysage juridique de la protection des consommateurs en matière de clauses abusives est marqué par une exigence croissante d’effectivité. Les juridictions nationales, sous l’égide de la CJUE, sont invitées à un rôle proactif dans la détection et l’écartement des clauses abusives, même dans les contextes complexes des procédures de faillite ou de surendettement. Cette dynamique impose aux praticiens du droit bancaire, qu’ils représentent les établissements ou les consommateurs, une veille juridique constante et une adaptation de leurs stratégies pour garantir le respect de l’équilibre contractuel et la protection des parties les plus vulnérables.

FAQ : Vos droits en tant que consommateur face aux clauses abusives et au surendettement

Qu’est-ce qu’une clause abusive dans un contrat ?

Une clause abusive est une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui a pour objectif ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Par exemple, une clause de déchéance du terme (qui permet à une banque d’exiger immédiatement le remboursement total d’un prêt en cas de retard de paiement) peut être considérée comme abusive si elle n’exige pas de mise en demeure préalable ou de préavis raisonnable.

Comment un juge intervient-il face à une clause abusive ?

Le juge a l’obligation de relever d’office (c’est-à-dire de sa propre initiative) toutes les dispositions du Code de la consommation dans les litiges nés de son application. S’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires, il doit apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle. Après avoir recueilli les observations des parties, le juge écarte d’office l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat. La directive européenne 93/13/CEE sur les clauses abusives impose aux États membres de veiller à ce que les clauses abusives ne lient pas le consommateur et ne produisent pas d’effets contraignants à son égard, sauf si le consommateur s’y oppose.

Que se passe-t-il si une clause abusive est identifiée dans un contrat lors d’une procédure de surendettement ?

Dans le cadre d’une procédure de surendettement, le juge peut, même d’office, vérifier la validité des créances et des titres qui les constatent, ainsi que le montant des sommes réclamées. Les créances dont la validité ou celle des titres n’est pas reconnue sont écartées de la procédure. Par exemple, la Cour d’appel de Rouen a considéré qu’une clause de réserve de propriété avec subrogation au prêteur était abusive et l’a écartée d’office, permettant ainsi au débiteur de ne pas restituer le véhicule financé. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a également jugé que dans une procédure de faillite personnelle, si la liste des créances a été approuvée par une instance sans examen du caractère abusif des clauses d’un contrat de crédit, le tribunal de la faillite doit pouvoir apprécier d’office ce caractère abusif et en tirer les conséquences nécessaires, même si cela peut retarder la procédure.

Un juge peut-il réexaminer une clause abusive même si une décision antérieure a déjà été rendue ?

Oui, c’est possible. Bien que le principe de l’autorité de la chose jugée soit important pour la stabilité du droit, la CJUE a précisé que si une décision juridictionnelle précédente n’a pas explicitement examiné le caractère abusif de la clause, cette décision ne fait pas nécessairement obstacle à un nouvel examen par le juge national. L’obligation d’un tel examen d’office est justifiée par l’intérêt public lié à la protection des consommateurs. Cependant, il existe des limites : si une procédure d’exécution (comme une saisie immobilière) est définitivement achevée et que les droits de propriété ont été transférés à un tiers, le juge ne peut plus procéder à un examen qui conduirait à l’annulation des actes de transfert de propriété. Dans ce cas, le consommateur peut néanmoins invoquer le caractère abusif de la clause dans une procédure distincte et subséquente pour obtenir réparation du préjudice financier.

Des mesures provisoires peuvent-elles être ordonnées durant une procédure de surendettement ou de faillite ? Oui, le juge national doit pouvoir accorder des mesures provisoires afin d’assurer la pleine efficacité des droits que le consommateur tire de la directive sur les clauses abusives. Ces mesures peuvent être nécessaires pour aménager la situation du consommateur en attente de l’examen du caractère abusif des clauses. Par exemple, une mesure visant à réduire les retenues opérées sur le salaire du débiteur en faillite peut être nécessaire pour garantir sa protection, surtout si l’invocation du caractère abusif des clauses prolonge la procédure et détériore injustement sa situation financière. Le juge doit évaluer si de telles mesures sont nécessaires en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris les indices d’abus et la situation financière du consommateur.

En tant que consommateur, quel est mon rôle pour faire valoir mes droits ?

Bien que le juge ait une obligation d’agir d’office, votre passivité totale ne peut être entièrement compensée. Il est impératif de vous faire conseiller par un avocat qui vous aidera à identifier les clauses abusives de vos contrats.

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