Lorsqu’une entreprise se retrouve en état de cessation des paiements, elle peut être placée en liquidation judiciaire, mettant ainsi un terme à son activité. Plusieurs problématiques peuvent en découler, comme celle du sort réservé aux contrats en cours, notamment les comptes courants ouverts auprès des établissements bancaires. Cet article examine les récentes évolutions jurisprudentielles en matière de clôture de compte courant en liquidation judiciaire et analyse leurs implications sur les engagements des cautions. Nous aborderons un arrêt récent rendu par la Cour de cassation (Cass. com, 11 septembre 2024, n° 23-12.695) et les implications pratiques pour les cautions.
Résumé des Faits à l’Origine de l’Affaire
La société Robert Beranger avait ouvert un compte courant auprès de la société Banque Marze, devenue par la suite la Banque Populaire du Sud. Le 7 février 2018, la société MV Finances s’est portée caution de tous les engagements de la société Robert Beranger envers la banque, à hauteur de 150 000 euros. La société Robert Beranger a été placée en redressement judiciaire le 11 juillet 2018, puis en liquidation judiciaire le 10 juillet 2019. La banque a déclaré une créance de 48 333,54 euros au titre du solde débiteur du compte courant et a assigné la société MV Finances en paiement. Toutefois, la Banque ne justifiait pas de la résiliation de la convention de compte courant par le liquidateur. La Cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 18 janvier 2023, a rejeté la demande de la banque, ce qui a conduit à un pourvoi devant la Cour de cassation.
Contexte Juridique de la Liquidation Judiciaire et Sort des Contrats en Cours
La liquidation judiciaire constitue une procédure collective réservée aux entreprises qui ne peuvent plus honorer leurs obligations financières, et pour lesquelles aucun redressement n’est envisageable. Lors de l’ouverture d’une liquidation judiciaire, une question se pose : les contrats de l’entreprise, notamment les comptes courants bancaires, peuvent-ils être automatiquement résiliés par effet de la liquidation judiciaire ?
Dans un arrêt rendu le 11 septembre 2024 (Cass. com, 11 septembre 2024, n° 23-12.695), la Cour de cassation a apporté une clarification à cette problématique liée à la résiliation des contrats en cours en cas de liquidation judiciaire. En vertu de l’article L. 641-11-1 du Code de commerce, introduit par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, il est établi qu’aucune résiliation ou clôture automatique d’un contrat en cours ne peut découler de la seule ouverture d’une liquidation judiciaire. Ce texte, entré en vigueur le 15 février 2009, a transposé à la liquidation judiciaire les règles identiques résultant de l’article L. 622-13 du Code de commerce, édictées pour la sauvegarde et rendues applicables au redressement judiciaire par l’article L. 631-14 de ce code. En d’autres termes, l’ouverture d’une procédure collective ne se traduit pas par la cessation de plein droit des contrats antérieurs à cette procédure.
La Position de la Cour de Cassation : Un Revirement Jurisprudentiel clair
L’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 (Cass. com, 11 septembre 2024, n° 23-12.695) marque un revirement par rapport à une décision antérieure du 13 décembre 2016 (Cass. com., 13 déc. 2016, n° 14-16.037, Publié au bulletin ; voir également Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-21.521, Bull. 2002 IV N° 83 p. 89). Cette jurisprudence considérait que la liquidation judiciaire entraînait l’exigibilité immédiate du solde débiteur, permettant ainsi aux créanciers de solliciter directement le paiement de la caution, sans décision du liquidateur. Cette jurisprudence avait fait l’objet de vives critiques et interrogations doctrinales, ainsi que le relève elle-même la Cour de cassation dans sa décision du 11 septembre 2024.
La jurisprudence de 2016 opérait elle-même une distinction du régime propre au compte courant par rapport à la jurisprudence antérieure, rendue au sujet des loyers ou des échéances d’un prêt échus après l’ouverture d’une liquidation judiciaire, qui considérait que la déchéance du terme due à la liquidation judiciaire du débiteur principal ne pouvait s’appliquer à la caution, à moins qu’une clause expresse ne l’ait stipulé dans le contrat de cautionnement (v. notamment, Cass. com., 8 mars 1994, n° 92-11.854, relatif au cautionnement des obligations d’un crédit-preneur).
La Cour abandonne désormais expressément la position adoptée en 2016 (Cass. com, n° 14-16.037), tout en précisant que cette solution n’avait pas été reprise par la jurisprudence ultérieure, et affirme clairement que l’ouverture d’une liquidation judiciaire n’implique pas nécessairement la clôture d’un compte courant. Tant que le compte courant demeure ouvert, le solde débiteur ne peut être qualifié d’exigible, et la caution ne peut, par conséquent, être tenue de payer.
Implications Pratiques : Impact sur les Cautions
Ce revirement, ou plutôt cette clarification devrait-on dire, constitue une avancée significative pour les cautions, car il impose aux banques une vigilance accrue dans la gestion des garanties, réduisant ainsi le risque d’une exigibilité automatique précipitée et injustifiée des créances contre les cautions. Lors d’une liquidation judiciaire, si le compte courant de l’entreprise n’est pas clôturé avant l’ouverture de la procédure, la banque ne pourra pas exiger immédiatement le paiement du solde auprès de la caution, sans justifier d’une décision du liquidateur.
Pour les cautions, cette évolution est bienvenue, car elle leur évite d’être immédiatement sollicitées pour un paiement tant que le compte courant de l’entreprise principale demeure ouvert. Cette protection est d’autant plus cruciale pour les garants, souvent des partenaires commerciaux ou financiers de l’entreprise en liquidation, qui pourraient autrement subir des difficultés financières conséquentes.
Conclusion : Jurisprudence 2024 et Sécurité Accrue pour les Cautions
L’arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2024 clarifie le statut des comptes courants lors d’une liquidation judiciaire, réaffirmant que leur clôture n’est pas automatique. Cette solution, favorable aux cautions, renforce leur sécurité juridique et impose aux créanciers de faire preuve d’une vigilance accrue dans la gestion des comptes courants dans le cadre de la procédure collective.
Les acteurs économiques impliqués dans des garanties de type cautionnement devront ajuster leurs pratiques à ce nouveau cadre.
En somme, cette évolution jurisprudentielle souligne l’importance d’une connaissance approfondie des mécanismes de liquidation judiciaire et des droits des parties prenantes, qu’il s’agisse des débiteurs, des créanciers ou des cautions, afin de mieux anticiper et gérer les risques liés aux garanties.
Lire la décision en intégralité : Cass. com, 11 septembre 2024, n° 23-12.695