CRÉDIT LOGEMENT : perte des recours de la caution

Une récente décision de la Cour de cassation, en date du 12 mars 2025, vient une nouvelle fois confirmer une position rigoureuse et défavorable aux emprunteurs, soulevant des questions importantes sur l’équilibre des protections juridiques.

Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 mars 2025, 23-19.708, Inédit

Le rôle de la caution et son droit de recours

Dans le cadre d’un prêt immobilier, la caution (ou garant) s’engage à payer la dette d’un emprunteur défaillant si ce dernier ne peut plus honorer ses engagements. Lorsqu’elle a payé le créancier à la place du débiteur, la caution est en droit de recouvrer les sommes qu’elle a déboursées, que ce soit par un recours personnel (fondé sur l’ancien article 2305 du Code civil) ou un recours subrogatoire (fondé sur l’ancien article 2306 du Code civil).

Cependant, la loi prévoit des situations où la caution peut perdre ce droit de recours contre le débiteur principal. L’ancien article 2308, alinéa 2, du Code civil (applicable au litige qui nous intéresse), et aujourd’hui l’article 2311 du Code civil, posent des conditions strictes pour cette perte de recours. En substance, la caution perd son recours si elle a payé sans avoir été poursuivie (condition présente dans l’ancien texte, mais retirée du nouvel article 2311) et sans avoir averti le débiteur principal, ET si le débiteur avait, au moment du paiement, des moyens pour faire déclarer la dette éteinte. C’est cette dernière condition qui est au cœur des débats jurisprudentiels.

Retour sur l’affaire ayant conduit à la décision du 12 mars 2025

L’affaire qui a mené à cette importante décision concerne la SA Crédit Logement, en sa qualité de caution professionnelle.

  1. Le prêt et la défaillance : En 2011, la SA CIC Nord-ouest a consenti un prêt immobilier à M. [E] [Z] et Mme [G] [K], garanti par la SA Crédit Logement. En 2018, M. [Z] a été placé en liquidation judiciaire. Après une mise en demeure, la SA CIC Nord-ouest a notifié à Mme [K] la déchéance du terme du prêt en avril 2019.
  2. Le paiement de la caution : Le 27 mai 2019, la SA Crédit Logement a versé la somme de 122 914,22 € à la SA CIC Nord-ouest, obtenant une quittance subrogative. Par la suite, Crédit Logement a assigné Mme [K] et M. [Z] en paiement.
  3. La décision de la Cour d’appel d’Amiens (13 juin 2023) : Le Tribunal judiciaire de Saint-Quentin avait rejeté les demandes de Crédit Logement, et la Cour d’appel d’Amiens a confirmé ce jugement. La Cour d’appel a estimé que Crédit Logement avait payé la banque sans en informer préalablement le débiteur principal, Mme [K]. Elle a relevé que si Mme [K] avait été prévenue, elle aurait pu opposer à la banque un défaut de mise en garde lors de la souscription du prêt, ainsi qu’un défaut de vérification de sa capacité de remboursement. Pour la Cour d’appel, ce défaut de mise en garde aurait pu conduire à l’extinction totale ou partielle de la dette par compensation avec une demande indemnitaire. En conséquence, la caution a été déboutée de sa demande en paiement en application de l’article 2308 du Code civil.

La position de la Cour de cassation (12 mars 2025)

La SA Crédit Logement a formé un pourvoi en cassation contre cette décision de la Cour d’appel d’Amiens. La Cour de cassation a partiellement cassé et annulé l’arrêt d’appel, renvoyant l’affaire devant la Cour d’appel de Douai.

La Haute Juridiction a clairement indiqué que le manquement allégué au devoir de mise en garde de la banque ne constitue pas un moyen pour faire déclarer la dette éteinte au sens de l’article 2308, alinéa 2, du Code civil. La Cour de cassation a rappelé qu’un tel manquement tend à l’allocation de dommages et intérêts appréciés en fonction de la perte de chance de ne pas contracter, et non à l’extinction de la dette au jour du paiement par la caution. Par conséquent, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale en se fondant sur des motifs jugés impropres à établir que l’emprunteuse avait des moyens pour faire déclarer sa dette éteinte.

Analyse et implications de la décision

Cette décision confirme une interprétation stricte et controversée de l’ancien article 2308 du Code civil par la Cour de cassation, acquise en 2021 (Cass. 1re civ., 24 mars 2021, n° 19-24.484).

  • Absence d’extinction immédiate de la dette : Pour la Cour, le fait de pouvoir invoquer un manquement au devoir de mise en garde ne conduit pas à une extinction immédiate de la dette principale. Une compensation avec une créance d’indemnisation est possible, mais cette créance est incertaine tant qu’elle n’a pas été reconnue judiciairement. Au moment du paiement par la caution, cette créance d’indemnisation n’existe pas encore et est donc purement hypothétique. Même dans le cas de dettes connexes, si l’exigence de liquidité et d’exigibilité est tempérée, celle de certitude demeure primordiale.
  • Une incohérence jurisprudentielle ? : Cette rigueur de la Cour de cassation est critiquée par une partie de la doctrine, notamment en raison d’une apparente asymétrie avec d’autres situations. Par exemple, en matière de nullité du contrat principal, la Cour a pu juger que la possibilité d’obtenir l’annulation du prêt était un « moyen de faire déclarer la dette éteinte », même si la nullité entraîne des obligations de restitution plutôt qu’une extinction totale de l’obligation de l’emprunteur. Cette distinction est perçue comme surprenante et moins sévère envers le débiteur dans le cas de la nullité.
  • L’impunité de la caution professionnelle : Une autre critique majeure concerne les conséquences de cette interprétation pour la caution professionnelle. Certains auteurs estiment que cette solution conduit à une « impunité » de la caution, qui, malgré son imprudence (payer sans avertir le débiteur), conserve ses recours. Puisque les cautions professionnelles, comme Crédit Logement, sont souvent des filiales de banques, elles partagent des intérêts communs avec le prêteur, ce qui complexifie la perception de leur rôle comme un simple « contrat de bienfaisance ». La règle actuelle s’applique indifféremment à toutes les cautions, qu’elles soient physiques ou morales. Certains appellent donc à une réécriture du texte pour moduler la sévérité de la règle en fonction de la qualité de la caution ou du lien d’intérêt économique unissant prêteur et caution professionnelle.

En conclusion

La décision de la Cour de cassation du 12 mars 2025, bien que cohérente avec sa propre logique, accentue la complexité pour le débiteur d’invoquer la perte des recours de la caution sur le fondement d’un manquement au devoir de mise en garde de la banque. Il est essentiel pour les emprunteurs et leurs conseils de bien comprendre cette distinction entre une demande d’indemnisation et un moyen direct d’extinction de la dette.

Le débat sur l’équité de cette solution et la nécessité d’adapter le cadre légal aux spécificités des cautions professionnelles reste ouvert et mérite une attention particulière du législateur.

Nous répondons à vos questions

Quels sont les types de recours dont dispose une caution après avoir remboursé la dette du débiteur ?

Lorsqu’une caution a effectué le paiement au créancier à la place du débiteur défaillant, elle est en droit de récupérer les sommes qu’elle a déboursées. Elle dispose alors de deux types de recours : un recours personnel (fondé sur l’ancien article 2305 du Code civil) et un recours subrogatoire (fondé sur l’ancien article 2306 du Code civil). Ces recours permettent à la caution de se faire rembourser par le débiteur principal, sauf si les conditions de perte des recours (prévues par l’ancien article 2308 et le nouvel article 2311 du Code civil) sont réunies.

Quelles sont les conditions pour que la caution perde son recours contre l’emprunteur ?

Selon l’ancien article 2308, alinéa 2, du Code civil (et l’actuel article 2311), une caution peut perdre son recours contre le débiteur principal si elle a payé le créancier sans l’avertir préalablement et si, au moment du paiement, le débiteur disposait de moyens valables pour faire déclarer la dette éteinte. Il est important de noter que l’exigence d’avoir payé « sans être poursuivie » a été retirée du nouvel article 2311.

Le manquement d’une banque à son devoir de mise en garde peut-il entraîner la perte des recours de la caution ?

Non, la Cour de cassation a clairement affirmé, notamment dans son arrêt du 12 mars 2025, que le manquement allégué au devoir de mise en garde d’une banque ne constitue pas un moyen pour faire déclarer la dette éteinte au sens de l’article 2308 du Code civil. Un tel manquement donne droit à l’allocation de dommages et intérêts (calculés sur la perte de chance de ne pas contracter), et non à l’extinction immédiate de la dette principale. Par conséquent, cela ne justifie pas la perte des recours de la caution sur ce fondement.

Pourquoi la caution professionnelle (Crédit Logement) a-t-elle conservé son recours dans l’affaire de mars 2025 ?

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 12 mars 2025, la SA Crédit Logement, en tant que caution professionnelle, a conservé son droit de recours. La Cour de cassation a en effet cassé la décision de la Cour d’appel d’Amiens qui avait initialement rejeté la demande de Crédit Logement. La Haute Juridiction a estimé que l’argument des emprunteurs concernant le manquement de la banque à son devoir de mise en garde n’était pas un « moyen de faire déclarer la dette éteinte » au moment du paiement par la caution.

1521 2281 max

Besoin de conseils juridiques personnalisés ?

Ne restez pas seul face à vos questions. Un avocat peut vous rappeler gratuitement pour faire le point sur votre situation.

Besoin de conseils juridiques personnalisés ?

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
RGPD :

Articles similaires

1x1 une reine d angleterre souriante

GAP et GAPD / la garantie à première demande : reine des garanties pour les cessions d’entreprises ?

Lorsqu’il s’agit de la cession d’une entreprise, garantir les actifs et les passifs revêt une importance cruciale pour sécuriser l’investissement de l’acquéreur. Dans ce cadre, ...

comment renégocier vos crédits efficacement : guide complet pour alléger vos remboursements mensuels

En pratique : l’examen des clauses abusives par le juge de l’exécution

À l’occasion d’un avis du 11 juillet 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clarifié plusieurs points clés concernant le contrôle ...

usurpation identite 2

Usurpation d’identité : enjeux, mesures préventives et recours juridiques

L’usurpation d’identité est un phénomène de plus en plus préoccupant à l’ère du numérique. En effet, l’accès facile aux données personnelles, combiné à l’évolution des ...