L’arrêt rendu par la 3ème Chambre de la Cour d’appel de Metz le 11 septembre 2025 (RG n° 24/00859) offre une illustration de la protection des consommateurs face aux clauses abusives dans les contrats de prêt. L’affaire opposait Madame [I] [N], emprunteuse, à la S.A.S. EOS FRANCE, agissant en qualité de mandataire recouvreur pour le fonds commun de titrisation CREDINVEST compartiment CREDINVEST 2 (FCT Credinvest).
Le litige portait sur la validité d’une saisie-attribution pratiquée le 28 avril 2023 sur les comptes bancaires de Mme [N] auprès de la SA Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (BPALC). Cette saisie avait été jugée valide en première instance par le juge de l’exécution de Metz le 25 avril 2024. Mme [N], ayant fait appel, demandait principalement que la clause VI des conditions générales du contrat de prêt soit déclarée abusive et réputée non écrite.
Cour d’appel de Metz, 11 septembre 2025, RG n° 24/00859
Les faits : de la restructuration de créances à la saisie
En 2009, Mme [N] et M. [S] avaient contracté deux prêts dits « arc-en-ciel » auprès de la SA Banque Patrimoine & Immobilier pour des montants de 37 490 euros et 66 723 euros. Ces prêts étaient garantis par une hypothèque conventionnelle sur un bien immobilier.
Suite à des impayés, la banque a mis en demeure M. [S] en octobre 2016 et prononcé la déchéance du terme le 2 juin 2017. Après une fusion-absorption, les droits sur la créance ont été cédés au FCT Credinvest. Une procédure d’exécution forcée immobilière a conduit à la vente amiable du bien en octobre 2020 pour 111 850 euros, dont 110 350 euros ont été perçus par la SA Eos France, permettant la mainlevée de l’hypothèque.
Malgré ce paiement conséquent, le FCT Credinvest a procédé à une saisie-attribution en avril 2023 pour un montant fructueux de 563,36 euros.
L’applicabilité du code de la consommation
L’intimée, SAS Eos France, soulevait l’irrecevabilité de la contestation de la clause abusive, arguant notamment que les prêts étaient des prêts professionnels et non de consommation, excluant ainsi l’application de la législation sur les clauses abusives.
La Cour d’appel de Metz a balayé cet argument. Elle a constaté que les deux contrats de prêt avaient pour objet la restructuration de créances, détaillant que le prêt n°2128446 restructurait des crédits à la consommation (notamment Finaref, Sofinco, Menafinance). De plus, l’un des contrats précisait que les « conditions générales soumises aux prescriptions du code de la consommation s’appliqueront au présent crédit ». Par conséquent, la Cour a jugé à tort que l’intimée soutenait l’inapplicabilité des dispositions du code de la consommation.
La clause abusive : un déséquilibre significatif
Statuant avec les pouvoirs du juge de l’exécution, la Cour avait l’obligation d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles, même en présence d’un titre exécutoire.
La clause en question, l’article VI – Exigibilité anticipée de la créance, prévoyait que toutes les sommes dues deviendraient immédiatement exigibles si une somme quelconque n’était pas payée dans le délai d’un mois après l’envoi d’une lettre recommandée ou dans les huit jours d’une sommation par huissier.
S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment les arrêts C-421/14 (26 janvier 2017) et C-600/21 (8 décembre 2022), la Cour de Metz a déclaré cette clause abusive et réputée non écrite pour les raisons suivantes :
- Pouvoir discrétionnaire du prêteur : La clause laissait à la seule appréciation du prêteur le montant des impayés justifiant la résiliation.
- Choix des délais de régularisation : Elle laissait au prêteur le choix du délai de régularisation des impayés (un mois ou huit jours), dépendant de la méthode de mise en demeure choisie par lui seul.
- Absence d’information : Elle n’informait pas l’emprunteur de sa faculté de contester cette résiliation.
- Déséquilibre significatif : La clause était jugée de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, en l’exposant à une aggravation soudaine des conditions de remboursement sans respect d’un délai de préavis d’une durée raisonnable.
Conséquences et mainlevée de la saisie
La Cour a rappelé que si le juge de l’exécution ne peut ni annuler ni modifier le titre exécutoire, il doit calculer à nouveau le montant de la créance lorsque le titre est privé d’effet du fait de l’application d’une clause abusive réputée non écrite.
Puisque la clause de déchéance du terme était réputée non écrite, la banque n’avait pu mettre valablement fin aux contrats de prêt, qui se sont poursuivis selon les modalités contractuelles jusqu’à leur terme initial fixé en 2031.
La Cour a rejeté l’argument du FCT Credinvest selon lequel la vente du bien immobilier en octobre 2020 constituait un remboursement anticipé volontaire, soulignant que ce versement était intervenu pour mettre fin à la procédure d’exécution forcée immobilière diligentée par la créancière.
Calcul de la créance au 28 avril 2023 (date de la saisie) :
La Cour a procédé à un nouveau calcul des sommes dues :
- Montant total des échéances échues impayées (de juin 2017 à avril 2023) : 65 622,11 euros, auxquels s’ajoutaient 708,76 euros d’intérêts contractuels et 1 100,58 euros de frais.
- Somme totale versée par les débiteurs antérieurement à la saisie : 111 122,43 euros.
Conclusion : La créance était éteinte.
En conséquence, la Cour a infirmé le jugement de première instance et a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée sur les comptes de Mme [N].
Indemnisation et dépens
Bien que la saisie ait été annulée, la Cour a confirmé le jugement en ce qu’il a débouté Mme [N] de sa demande de dommages et intérêts pour abus de saisie, estimant qu’il n’était pas démontré d’abus de la part du créancier (erreur inexcusable, négligence fautive ou mauvaise foi) puisque celui-ci disposait d’un titre exécutoire au moment de la mesure.
Toutefois, la SAS Eos France, partie perdante, a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à verser à Mme [N] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
Vos droits face aux clauses abusives et aux procédures de saisie
Cette FAQ s’adresse aux consommateurs et non-professionnels confrontés à des litiges concernant leurs contrats de prêt, notamment en cas de déchéance du terme ou de saisie-attribution.
I. Application de la loi et rôle du juge
1. À quels types de contrats de prêt les dispositions sur les clauses abusives s’appliquent-elles ?
Les dispositions du code de la consommation, incluant celles relatives aux clauses abusives, s’appliquent aux contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs.
Dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Metz, il a été établi que ces dispositions s’appliquaient à deux contrats de prêt ayant pour objet la restructuration de créances. L’un des prêts restructurait notamment d’anciens crédits à la consommation (comme Finaref, Sofinco, Menafinance). Il a également été noté que l’un des contrats précisait que les conditions générales étaient « soumises aux prescriptions du code de la consommation ».
2. Quel juge est compétent pour contester une mesure d’exécution forcée (comme une saisie-attribution) et examiner les clauses abusives ?
Le juge de l’exécution (JEX) connaît de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée.
Même si la créance est fondée sur une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée, le juge de l’exécution (ou la Cour d’appel statuant avec ses pouvoirs) est tenu d’examiner d’office (c’est-à-dire sans que cela ne soit explicitement demandé par les parties en première instance) si les clauses insérées dans le contrat de prêt ont un caractère abusif.
3. Est-il possible de demander l’examen d’une clause abusive pour la première fois en appel ?
Oui, cette demande est recevable devant la Cour d’appel statuant avec les pouvoirs du juge de l’exécution, notamment si elle tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge (par exemple, obtenir la mainlevée d’une saisie). De toute façon, la Cour, statuant avec les pouvoirs du juge de l’exécution, a l’obligation d’examiner d’office le caractère abusif de la clause.
II. La clause de déchéance du terme (exigibilité anticipée)
4. Qu’est-ce qu’une clause de déchéance du terme et quand devient-elle abusive ?
Une clause de déchéance du terme (appelée ici « Exigibilité anticipée de la créance ») est une disposition contractuelle qui permet au prêteur de rendre immédiatement exigibles toutes les sommes dues (principal, intérêts et accessoires) si l’emprunteur n’a pas payé une somme quelconque devenue exigible dans un certain délai.
Une telle clause peut être déclarée abusive si elle crée un déséquilibre significatif au détriment du consommateur.
5. Quels sont les éléments d’une clause de déchéance du terme qui peuvent la rendre abusive ?
La Cour d’appel de Metz a déclaré une clause abusive et réputée non écrite car :
- Elle laissait à la seule appréciation du prêteur tant le montant des impayés justifiant la résiliation que la durée du délai de régularisation.
- Elle prévoyait plusieurs délais possibles (par exemple, un mois après l’envoi d’une lettre recommandée ou huit jours après une sommation par huissier), laissant le choix du délai le plus court à la seule volonté du prêteur.
- Elle n’informait pas l’emprunteur de sa faculté de contester cette résiliation.
Cette clause était de nature à exposer le consommateur à une aggravation soudaine des conditions de remboursement sans respecter un délai de préavis d’une durée raisonnable.
6. Est-ce que la manière dont la banque a mis en œuvre la clause change quelque chose à son caractère abusif ?
Non. L’appréciation du caractère abusif d’une clause s’effectue au regard de la clause elle-même et non en fonction de la manière dont le créancier l’a mise en œuvre. Par conséquent, le fait que la banque ait envoyé une lettre recommandée prévoyant le délai d’un mois (plutôt que la sommation de huit jours) est « sans emport » (sans importance) pour déterminer si la clause est abusive.
III. Conséquences de l’annulation (réputée non écrite)
7. Que signifie « réputée non écrite » pour une clause abusive ?
Lorsque la clause d’exigibilité anticipée est déclarée abusive, elle est réputée non écrite. Cela signifie qu’elle est considérée comme n’ayant jamais existé dans le contrat.
8. Quelles sont les conséquences sur le contrat de prêt ?
Si la clause est réputée non écrite, la banque n’a pas pu mettre valablement fin au contrat de prêt. Le contrat est censé s’être poursuivi selon les modalités contractuelles jusqu’à son terme initial (par exemple, jusqu’en 2031).
Le juge de l’exécution ne peut ni annuler, ni modifier le titre exécutoire, mais celui-ci est privé d’effet en tant qu’il appliquait la clause abusive.
9. Comment la créance est-elle recalculée après l’annulation de la clause ?
Le juge de l’exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance. Ce calcul s’effectue au jour de la mesure d’exécution forcée contestée (la saisie-attribution).
Le montant de la dette se limite alors aux échéances échues et impayées (mensualités, intérêts contractuels et frais) entre la date du premier impayé (où la déchéance avait été prononcée) et la date de la saisie, car le contrat est considéré comme toujours en cours.
10. Si j’ai déjà versé des sommes importantes au créancier (par exemple, après une vente forcée), comment ces sommes sont-elles prises en compte ?
Les sommes que vous avez déjà versées antérieurement à la saisie sont déduites du nouveau calcul de la créance échue.
Dans le cas de l’emprunteuse, la Cour a constaté que, même en ajoutant toutes les mensualités échues impayées entre juin 2017 et avril 2023 (soit 65 622,11 euros plus intérêts et frais), la somme totale versée par les débiteurs (111 122,43 euros) était supérieure. La Cour en a conclu que la créance était éteinte.
11. Que se passe-t-il si la créance est jugée éteinte ?
Lorsque le juge de l’exécution constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure d’exécution. Dans l’affaire, cela a conduit à ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée sur les comptes de l’emprunteuse.
IV. Recours et indemnisations
12. Puis-je demander des dommages et intérêts si le créancier a pratiqué une saisie qui s’avère non fondée ?
Oui, l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution permet au juge de l’exécution de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie.
Cependant, pour obtenir ces dommages et intérêts, vous devez démontrer un abus caractérisé par une erreur inexcusable, une négligence fautive, une intention de nuire ou une mauvaise foi de la part du créancier. Dans l’affaire de Metz, cette demande a été rejetée, car le créancier disposait d’un titre exécutoire au moment de la mesure de saisie, ce qui ne caractérisait pas un abus.
13. Quelles indemnités puis-je obtenir pour couvrir les frais de justice ?
Si vous obtenez gain de cause, la partie perdante peut être condamnée à vous verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour couvrir une partie des frais engagés (honoraires d’avocat, etc.). Dans l’affaire, l’emprunteuse a obtenu 1 200 euros à ce titre pour la procédure d’appel.


