Fraude et chèque de banque : guide complet de vos droits et responsabilité bancaire

Le chèque de banque est un instrument de paiement émis par la banque elle-même sur ses propres fonds, conférant une sécurité a priori élevée à son bénéficiaire. Cependant, cette présomption de sécurité n’exonère en rien les établissements bancaires d’une vigilance rigoureuse lors de son encaissement. La responsabilité des banques peut être engagée de manière significative en cas de manquement à leurs obligations lors de cette opération, que ce soit par la banque tirée (celle qui émet le chèque) ou la banque présentatrice (celle qui reçoit le chèque pour encaissement).

1. Principes généraux de l’encaissement d’un chèque de banque

Lorsqu’un chèque de banque est présenté à l’encaissement, la banque est tenue de s’assurer de la régularité formelle du titre et de l’absence d’anomalies apparentes. L’objectif est de prévenir les fraudes et de garantir que le paiement est effectué au profit du légitime bénéficiaire. La responsabilité de la banque peut être engagée si l’encaissement est réalisé au profit d’un tiers non bénéficiaire ou si des irrégularités apparentes n’ont pas été décelées.

2. Obligation de vigilance et moment du contrôle

a. Seuil d’intervention de la banque La jurisprudence est constante sur le fait que l’obligation de vigilance de la banque n’existe qu’au moment où le chèque lui est effectivement remis à l’encaissement, et non lors de la simple présentation d’une copie ou d’une demande d’authentification préalable. Ce principe a été clairement rappelé par la Cour de cassation, soulignant que : « La banque n’est tenue de détecter les anomalies apparentes d’un chèque que lorsque celui-ci lui est remis à l’encaissement ». Ainsi, dans une affaire où un particulier avait présenté la copie d’un chèque de banque pour vérification de son authenticité avant l’encaissement, la Cour de cassation a rejeté sa demande de réparation, jugeant que la banque n’avait pas d’obligation de vigilance à ce stade (Cass. com., 5 mars 2025, n° 23-16.944, Publié au bulletin).

b. Limites de l’obligation de contrôle Le contrôle que la banque doit opérer est un contrôle formel et extérieur des opérations. Elle n’est pas tenue de vérifier l’origine des fonds ou de s’immiscer dans les opérations commerciales de ses clients, sauf s’il existe une anomalie apparente qui justifierait une intervention.

3. Exemples d’encaissement fautif

a. Encaissement sur un compte tiers L’encaissement d’un chèque de banque sur un compte autre que celui du bénéficiaire constitue une faute engageant la responsabilité de la banque présentatrice, surtout en l’absence d’endossement régulier. La Cour de cassation a jugé que la banque présentatrice est tenue de détecter les anomalies apparentes d’un chèque qu’elle est chargée d’encaisser pour le compte de son client, et qu’en s’en abstenant, elle prend un risque dont elle doit assumer les conséquences (Cass. com., 17 sept. 2013, n° 12-18.202). Par exemple, une banque a été condamnée car un chèque destiné à la société JJR a été encaissé sur le compte de la société TJ’S Car Rental et ne portait pas la signature du bénéficiaire (Cass. com., 17 sept. 2013, n° 12-18.202). Le fait que l’ancienne dénomination de la société TJ’S Car Rental était « JJ Car Rental » (présentant une similitude avec « JJR ») n’a pas exonéré la banque de sa responsabilité, car elle devait s’assurer de la régularité apparente du chèque.

b. Falsification ou anomalie apparente La banque tirée a l’obligation de refuser le paiement si le chèque présente une anomalie apparente. La moindre anomalie apparente doit attirer son attention et l’amener à refuser le paiement. Si elle paie un tel chèque détourné au profit d’un nouveau bénéficiaire, elle doit réparer le préjudice causé par sa carence (Cass. com., 7 juill. 2009, n° 08-18.251, Bull. 2009, IV, n° 93). Des exemples d’anomalies apparentes incluent :

  • La présence d’une quatrième série de numéros au bas du chèque, décalée par rapport aux autres séries (Cass. com., 7 juill. 2009, n° 08-18.251).

  • L’absence de filigrane « chèque de banque », lequel est indispensable et très apparent sur un chèque de banque authentique (CA Orléans, c1, 27 sept. 2018, n° 17-01558).

  • Des traces de grattage ou des ajouts en pied, même si elles ne sont pas immédiatement apparentes, doivent être décelées par un employé normalement diligent si d’autres anomalies l’alertent (CA Orléans, c1, 27 sept. 2018, n° 17-01558). Dans une affaire où des époux avaient déposé un chèque de banque falsifié, la Cour d’appel d’Orléans a jugé que la banque présentatrice aurait dû déceler ces anomalies (absence de filigrane, quatrième série de chiffres, traces de grattage) et a condamné la banque pour son manquement, même si le client n’avait pas expressément demandé une vérification approfondie (CA Orléans, c1, 27 sept. 2018, n° 17-01558). Ce défaut d’information a entraîné une perte de chance pour les clients.

c. Anomalie non décelable En revanche, si la falsification n’était pas normalement décelable, même pour un œil exercé, la responsabilité de la banque n’est pas engagée (Cass. com., 9 oct. 2001, n° 99-13.946). Par exemple, si des irrégularités de tracé ou des points résultant d’une surcharge peuvent être attribuées à la maladresse du scripteur et ne sont pas révélatrices d’une fraude normalement décelable, la banque n’a pas commis de faute en payant les chèques litigieux (Cass. com., 9 oct. 2001, n° 99-13.946).

4. Responsabilité partagée des banques tirée et présentatrice

En matière de chèques falsifiés, la responsabilité de la banque présentatrice ne saurait être exclusive de celle de la banque tirée. Leur responsabilité est égale, et elles sont solidairement tenues (Cass. com., 9 juill. 2002, n° 00-22.788, Bull. 2002 IV N° 114 p. 123). La banque tirée est tenue de vérifier la régularité formelle du titre qui lui est présenté et doit assumer les conséquences du risque qu’elle prend en s’en abstenant, et ce, même si elle procède au traitement des chèques de manière informatique (Cass. com., 9 juill. 2002, n° 00-22.788). Cependant, la banque tirée est tenue de vérifier la régularité de la suite des endossements, mais non la signature des endosseurs (Cass. com., 17 sept. 2013, n° 12-18.202).

5. Devoirs spécifiques de la banque présentatrice

La banque présentatrice a des devoirs spécifiques, notamment :

  • De s’assurer de l’identité du remettant et de sa qualité de bénéficiaire ou de mandataire régulier.
  • De détecter toute anomalie apparente sur le chèque ou dans la procédure d’encaissement.

6. Sanction et réparation en cas d’encaissement fautif

Lorsque la faute est caractérisée, la banque peut être tenue d’indemniser le véritable bénéficiaire ou le tireur du chèque à raison du préjudice subi. Il s’agit d’une réparation visant à compenser la perte financière directement liée au manquement de la banque.

7. L’encaissement d’un chèque de banque « sauf bonne fin »

La mention « sauf bonne fin » est une clause contractuelle importante qui modifie le régime de l’encaissement d’un chèque. Elle signifie que le crédit sur le compte du bénéficiaire est effectué immédiatement, mais qu’il est conditionnel au bon paiement du chèque par la banque tirée. Si le chèque revient impayé, la banque est autorisée à débiter le compte du remettant de la valeur du chèque majorée des frais.

Cette clause implique donc que :

  • Le crédit du compte client est réalisé sans attendre le paiement effectif par la banque tirée.
  • Le risque de change (si le chèque est en devise étrangère) entre le dépôt et le retour de l’impayé est supporté par le remettant (le client).

Dans une affaire récente, une cliente avait déposé un chèque de banque américain en dollars sur son compte en euros auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Centre Est (CRCAMCE). Le bordereau de remise stipulait clairement un encaissement « sauf bonne fin ». La CRCAMCE, malgré cette mention contractuelle, avait tardé à créditer le compte de sa cliente, invoquant l’inertie de la banque américaine (CA Lyon, 8e ch., 21 mai 2025, n° 24-03422). La Cour d’appel de Lyon a jugé que le document de remise du chèque, ayant une valeur contractuelle, imposait à la CRCAMCE de créditer le compte de la cliente sans attendre le paiement du chèque par la banque tirée (CA Lyon, 8e ch., 21 mai 2025, n° 24-03422). La contestation de la banque n’était pas jugée sérieuse. Par conséquent, la CRCAMCE a été condamnée à payer à la cliente la somme provisionnelle correspondante au montant du chèque avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure (CA Lyon, 8e ch., 21 mai 2025, n° 24-03422).

Cette décision illustre qu’une banque qui ne respecte pas les termes d’un encaissement « sauf bonne fin » et retarde le crédit des fonds au client, alors que les conditions contractuelles l’y obligeaient, commet une faute engageant sa responsabilité (CA Lyon, 8e ch., 21 mai 2025, n° 24-03422).

8. Synthèse et précautions pour les usagers

En résumé, un encaissement fautif d’un chèque de banque engage la responsabilité de la banque, qu’elle soit tirée ou présentatrice, en cas de manquement à son obligation de vigilance portant sur les anomalies apparentes ou sur l’identité du bénéficiaire. Cependant, la banque ne sera pas tenue responsable si la falsification ou l’anomalie n’était pas décelable par un employé normalement diligent (Cass. com., 9 oct. 2001, n° 99-13.946). Il est primordial de retenir que l’obligation de vigilance de la banque ne commence qu’au moment de l’encaissement effectif du chèque, et non à la simple présentation d’une copie ou en amont de l’opération (Cass. com., 5 mars 2025, n° 23-16.944, Publié au bulletin). Enfin, les termes de l’encaissement, notamment les clauses comme « sauf bonne fin », sont contractuels et engagent la banque, dont la faute peut être retenue si elle ne respecte pas ses propres engagements malgré ces clauses (CA Lyon, 8e ch., 21 mai 2025, n° 24-03422).

Pour approfondir ou pour des situations particulières, il convient de se référer aux arrêts cités et aux analyses doctrinales associées pour apprécier la responsabilité en cas d’encaissement fautif d’un chèque de banque.


FAQ : Vos Droits et les Responsabilités de votre Banque lors de l’Encaissement d’un Chèque

Comprendre la Sécurité et les Risques liés aux Chèques de Banque

1. Qu’est-ce qu’un chèque de banque et quelle est sa particularité ?

Un chèque de banque est un moyen de paiement émis directement par la banque sur ses propres fonds. Cela lui confère une sécurité a priori supérieure à celle d’un chèque ordinaire, car il garantit que les fonds sont disponibles au moment de l’émission.

2. Ma banque a-t-elle des obligations de vigilance lors de l’encaissement d’un chèque ?

Oui, absolument. Votre banque est tenue à une obligation de vigilance rigoureuse lors de l’encaissement de tout chèque, y compris un chèque de banque.Elle doit s’assurer de la régularité formelle du titre et détecter toute anomalie apparente. Si elle manque à cette obligation, sa responsabilité peut être engagée.

3. Quand débute l’obligation de vigilance de ma banque ?

L’obligation de vigilance de la banque ne commence qu’au moment où le chèque est effectivement remis pour encaissement. Si vous présentez une simple copie du chèque ou demandez une authentification préalable sans remise pour encaissement, la banque n’est pas tenue de détecter les anomalies à ce stade. Exemple : Si vous montrez une photocopie d’un chèque pour vérification avant l’encaissement, la banque n’a pas d’obligation de vigilance à ce moment-là.

4. Jusqu’où va l’obligation de contrôle de ma banque ?

Votre banque doit effectuer un contrôle formel et extérieur du chèque. Elle n’a pas à s’immiscer dans vos affaires commerciales ou à vérifier l’origine des fonds, sauf si une anomalie apparente justifie une intervention.

Scénarios d’Encaissement Fautif et Responsabilité Bancaire

5. Dans quels cas l’encaissement d’un chèque est-il considéré comme fautif ?

Plusieurs situations peuvent engager la responsabilité de la banque :

  • Encaissement sur un compte tiers : Si un chèque de banque est encaissé sur un compte qui n’est pas celui du bénéficiaire légitime (ou d’un mandataire régulier), et qu’il n’y a pas d’endossement régulier, la banque présentatrice commet une faute. Elle doit s’assurer de l’identité du remettant et de sa qualité de bénéficiaire.
    • Exemple : Une banque a été condamnée pour avoir encaissé un chèque destiné à la société JJR sur le compte de la société TJ’S Car Rental, sans que le chèque ne porte la signature du bénéficiaire.
  • Falsification ou anomalie apparente : La banque tirée (celle qui doit payer le chèque) doit refuser le paiement si le chèque présente une anomalie apparente. La moindre irrégularité visible devrait l’alerter.
    • Exemples d’anomalies apparentes :
      • Une quatrième série de numéros au bas du chèque, décalée des autres.
      • L’absence du filigrane « chèque de banque », pourtant indispensable et très visible sur un chèque authentique.
      • Des traces de grattage ou des ajouts en pied du chèque, détectables par un employé diligent si d’autres anomalies l’alertent.
    • Exemple : Une banque a été jugée responsable car elle n’avait pas détecté l’absence de filigrane, une série de chiffres anormale et des traces de grattage sur un chèque falsifié.

6. Que se passe-t-il si la falsification n’était pas décelable ?

Si la falsification ou l’anomalie n’était pas normalement décelable par un œil exercé ou un employé normalement diligent, la responsabilité de la banque ne sera pas engagée. Exemple : Des irrégularités de tracé pouvant être attribuées à la maladresse du scripteur ne sont pas considérées comme des anomalies normalement décelables.

7. La responsabilité est-elle partagée entre les banques ?

Oui, souvent. En cas de chèque falsifié, la responsabilité de la banque présentatrice (qui reçoit le chèque pour encaissement) et de la banque tirée (qui émet le chèque) peut être partagée. Leur responsabilité est jugée égale et solidaire. La banque tirée a l’obligation de vérifier la régularité formelle du titre, même si elle utilise un traitement informatique.

8. Qu’est-ce qu’un encaissement « sauf bonne fin » et quelles en sont les implications ?

La mention « sauf bonne fin » est une clause contractuelle importante. Elle signifie que le crédit des fonds sur votre compte est effectué immédiatement, mais sous condition du bon paiement du chèque par la banque tirée.

  • Si le chèque est impayé, la banque a le droit de débiter votre compte du montant du chèque, majoré des frais.
  • Le risque de change (si le chèque est en devise étrangère) est supporté par vous, le remettant, entre le moment du dépôt et le retour de l’impayé.
  • Une banque qui ne respecte pas les termes d’un encaissement « sauf bonne fin » et retarde indûment le crédit des fonds alors que le contrat l’obligeait à créditer immédiatement, commet une faute engageant sa responsabilité.

Réparation et Précautions pour les Clients

9. Si ma banque est fautive, quelle est la sanction ?

Si la faute de la banque est avérée, elle peut être tenue de vous indemniser pour le préjudice subi. Cette indemnisation vise à compenser la perte financière directement liée à la négligence de la banque. Un défaut d’information peut également entraîner une « perte de chance » ouvrant droit à réparation.

10. Comment puis-je me protéger en tant que client ?

  • Comprenez les obligations de votre banque : Sachez que la banque a un devoir de vigilance sur les anomalies apparentes des chèques et l’identité du bénéficiaire.
  • Vérifiez les documents : Lisez attentivement les bordereaux de remise et autres documents contractuels, notamment les clauses comme « sauf bonne fin ».
  • Soyez vigilant : Bien que la banque ait des obligations, restez attentif à toute situation inhabituelle lors de l’encaissement de sommes importantes.
  • Connaissez vos droits : En cas de doute ou de problème, n’hésitez pas à vous informer en consultant Maître Mikaël LE BOT, avocat en droit bancaire.

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