Le droit de la consommation, et particulièrement la question de la prescription des actions en recouvrement par les professionnels, est un domaine où la jurisprudence ne cesse d’apporter des précisions essentielles. Un arrêt récent de la Cour de cassation, rendu en 2025, vient corriger une interprétation erronée de la Cour d’appel d’Amiens concernant l’effet d’une procédure de surendettement sur le délai de forclusion. Cette décision s’inscrit dans la lignée des principes posés par la haute juridiction en 2016, notamment sur la temporalité et la nature de la suspension.
Contexte de l’Affaire : la saisie immobilière des époux V.
L’arrêt de cassation du 23 octobre 2025 (Cass. 2e civ., 23 octobre 2025, pourvoi n° W 23-12.623, publié au bulletin), trouve son origine dans une procédure de saisie immobilière engagée par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Brie Picardie (le Crédit Agricole) à l’encontre des époux [V].
Les époux [V] avaient déposé plusieurs dossiers de surendettement, notamment un troisième dossier le 4 décembre 2017.
La procédure a conduit à un jugement d’orientation par le juge de l’exécution de Beauvais en novembre 2021, jugement qui avait notamment rejeté la demande des époux [V] de voir déclarer la forclusion de la procédure de saisie immobilière. La Cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 15 décembre 2022 (CA Amiens, 1re ch. civ., 15 décembre 2022, n° 22/00716), a confirmé la décision de première instance sur la plupart des points.
Cependant, l’une des créances en litige concernait la Banque Populaire Rives de Paris (BPRP) au titre d’un prêt immobilier de 2007. Les époux [V] invoquaient la forclusion biennale (délai de deux ans) prévue par l’article L. 218-2 du Code de la consommation.
La Cour d’appel d’Amiens avait écarté cette forclusion pour la créance de la BPRP (prêt de 24 347,47 €), jugeant que le délai biennal, qui avait recommencé à courir le 4 novembre 2017, avait été interrompu par le troisième dossier de surendettement déposé par les époux [V] le 4 décembre 2017 et déclaré recevable par la Commission le 4 décembre 2017 (l’arrêt de la CA mentionnant aussi la date de la décision de recevabilité au 13 février 2018). La Cour d’appel a conclu que la forclusion n’était donc pas acquise.
L’arrêt de cassation de 2025 : la recevabilité emporte suspension
Saisis par les époux [V], les juges de la Cour de cassation, dans leur décision du 23 octobre 2025 (pourvoi n° W 23-12.623), ont cassé partiellement l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens. La Cour a ciblé l’interprétation erronée des effets de la procédure de surendettement sur la forclusion des créanciers professionnels.
La Cour de cassation rappelle les dispositions essentielles du Code de la consommation et du Code civil :
- L’action des professionnels (pour les services fournis aux consommateurs) se prescrit par deux ans (forclusion biennale, Art. L. 218-2 C. conso.).
- La recevabilité de la demande de surendettement emporte suspension des procédures d’exécution (Art. L. 722-2 C. conso.).
- La suspension de la prescription arrête temporairement le cours du délai sans effacer le délai déjà couru (Art. 2230 C. civ.).
La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel d’Amiens d’avoir retenu que le délai de forclusion avait été interrompu par le dossier de surendettement. Selon la haute juridiction, l’impossibilité d’agir dans laquelle la banque s’est trouvée du fait de la procédure de surendettement avait seulement pour effet de suspendre, et non d’interrompre, le cours de la forclusion.
En outre, la Cour de cassation précise que cette suspension ne court qu’à compter de la date de la décision de recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement, et non dès la date du dépôt du dossier (le 4 décembre 2017). En statuant ainsi, la Cour d’appel a violé les articles L. 218-2 et L. 722-2 du code de la consommation, ainsi que les articles 2230 et 2234 du code civil.
Complément de la jurisprudence de 2016
L’arrêt de 2025, en insistant sur le fait que la suspension court dès la décision de recevabilité, s’articule directement avec la jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 17 mars 2016 (Cass. 2e civ., 17 mars 2016, pourvoi n° Y 14-24.986, publié au bulletin).
Dans cet arrêt de 2016, la Cour de cassation avait déjà établi fermement deux principes essentiels :
- Le délai de prescription d’une créance n’est pas suspendu pendant l’examen de la recevabilité de la demande de surendettement, que cet examen soit mené par la commission ou par le juge du tribunal d’instance.
- Le recours formé par un créancier contre la décision de recevabilité de la commission ne constitue pas une demande en justice de nature à interrompre le délai de prescription (au sens de l’article 2241 du code civil).
L’arrêt de 2016 a donc défini quand l’effet protecteur ne commence pas (pas pendant l’examen, pas par le recours du créancier), tandis que l’arrêt de 2025 confirme la nature exacte de cet effet (une suspension, non une interruption) et son point de départ précis (la décision de recevabilité).
Conclusion
La Cour de cassation, dans son arrêt du 23 octobre 2025, a cassé et annulé partiellement la décision de la Cour d’appel d’Amiens du 15 décembre 2022 en ce qu’elle concernait la créance de la Banque Populaire Rives de Paris issue du prêt immobilier de 2007. L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Rouen pour que les règles de la suspension (Art. 2230 C. civ.) soient appliquées correctement, à compter uniquement de la décision de recevabilité de la demande de surendettement.
Cette clarification est importante : elle garantit que la forclusion biennale, protectrice du consommateur surendetté, n’est que temporairement mise en pause par la procédure de surendettement (suspension), et que cette pause ne commence que lorsque la procédure est officiellement jugée recevable. L’effet n’est pas une interruption qui remettrait le compteur à zéro pour le créancier, ce qui aurait été préjudiciable au débiteur.



