Dans un environnement financier de plus en plus exposé à la fraude, la question de la responsabilité des Prestataires de Services de Paiement (PSP) en cas de virement mal exécuté est cruciale. Si le Code monétaire et financier (CMF) établit un régime strict pour les paiements non autorisés, la jurisprudence vient préciser les limites de la responsabilité contractuelle de droit commun pour les opérations considérées comme « autorisées ».
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Besançon le 16 septembre 2025 (n° 24/01218) offre une analyse didactique et détaillée de l’obligation de vigilance incombant aux banques face à des anomalies documentaires, même lorsque l’ordre de virement émane du client.
I. Le Contexte factuel : une fraude au virement dans le cadre d’un financement immobilier
L’affaire opposait M. [K] [J] à la SA Caisse d’Épargne et de Prévoyance de Bourgogne Franche-Comté, prestataire de services de paiement. M. [J] avait contracté un prêt auprès de la Caisse d’Épargne pour financer l’acquisition d’un bien en l’état futur d’achèvement (VEFA).
Le mode opératoire prévoyait que les paiements des situations de travaux au constructeur soient effectués par la banque sur présentation :
- De la situation de travaux signée par le locateur d’ouvrage.
- D’un relevé d’identité bancaire (RIB) correspondant aux identifiants de la banque récipiendaire.
M. [J] avait déjà exécuté trois ordres de virement successifs selon cette procédure. Le litige portait sur un quatrième ordre de virement daté du 15 avril 2022, d’un montant de 49 750 euros, auquel étaient annexés l’ordre de service et un RIB. Ce quatrième virement n’a jamais été reçu par l’entrepreneur, bien qu’il ait été enregistré au débit du compte de M. [J].
Le tribunal judiciaire de Belfort avait initialement condamné la banque à rembourser la somme restante de 31 473,56 euros, retenant le manquement de la banque à son obligation de vigilance face aux anomalies matérielles du dernier RIB. La Caisse d’Épargne a interjeté appel de ce jugement.
II. Qualification de l’opération : paiement autorisé et responsabilité de droit commun
Pour déterminer le régime de responsabilité applicable, la Cour d’appel a d’abord dû qualifier l’opération, c’est-à-dire établir si le virement était autorisé ou non autorisé.
1. Distinction entre les régimes
- Paiement Non Autorisé : Il est défini comme celui où une modification qui n’émane pas du payeur est intervenue dans le processus. Si l’opération est jugée non autorisée, l’article L. 133-24 du CMF oblige le PSP à rembourser immédiatement et à rétablir le compte dans son état antérieur.
- Paiement Autorisé : Il est initié par le payeur et requiert son consentement. Si les malversations (falsification des documents) sont antérieures à l’ordre de virement reçu par la banque, le paiement doit être considéré comme valablement autorisé.
2. L’exclusion du régime des paiements non autorisés
Dans cette affaire, la Cour a noté qu’il ne ressortait pas des pièces de la procédure que le RIB ait été falsifié durant la phase de l’opération postérieure à l’ordre de virement. Par conséquent, il ne pouvait pas être retenu indubitablement que la responsabilité du PSP était engagée au titre d’un paiement non autorisé.
La Cour a donc conclu que le litige devait être tranché sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (articles 1231 et suivants du code civil), imposant au payeur (M. [J]) d’apporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité à l’encontre du PSP.
III. Le manquement à l’obligation de vigilance : les anomalies matérielles
Même en droit commun, l’application du principe de non-immixtion (le banquier ne doit pas s’ingérer dans les affaires du client) est tempérée par l’obligation de vigilance.
Selon la Cour d’appel de Besançon, cette obligation se manifeste par la diligence du PSP de vérifier si les documents soumis comportent des irrégularités matérielles pouvant générer une suspicion quant à l’objet de l’opération. Le cœur du litige résidait dans le manquement de la Caisse d’Épargne à ce contrôle de régularité formelle du RIB fourni pour le quatrième virement.
La Cour a identifié et retenu trois anomalies matérielles qui auraient dû alerter le PSP :
- Discordance de Forme : Le quatrième relevé d’identité bancaire était « différent dans la forme » des trois précédents que le payeur avait envoyés.
- Changement de Domiciliation : L’adresse de domiciliation du compte de réception indiquait une adresse à [Localité 7], alors que les virements précédents avaient été effectués sur un compte situé à [Localité 5].
- Code BIC Inhabituel : Le code BIC correspondait à celui d’une banque en ligne peu utilisée par les professionnels.
Selon les juges, la simple discordance de présentation et l’absence de correspondance des indications du dernier relevé avec les précédents « aurait dû inciter le PSP à davantage de vigilance ». Le PSP aurait dû, « en toute hypothèse, solliciter de la part du donneur d’ordre une confirmation pour la mise en œuvre de l’opération de paiement à l’effet de lui faire prendre conscience du risque encouru ».
IV. Sanction du devoir de vigilance
En retenant ce manquement à l’obligation de vigilance, la Cour d’appel a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de Belfort.
Le PSP (Caisse d’Épargne) a été jugé responsable du préjudice subi par M. [J], qui s’est trouvé privé des fonds destinés au financement de son programme de construction.
La Caisse d’Épargne a été condamnée :
- Aux dépens d’appel.
- À verser à M. [K] [J] la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cet arrêt rappelle avec force que, même en l’absence de qualification de paiement non autorisé, le PSP ne peut se contenter d’une exécution mécanique de l’ordre s’il est confronté à des indices matériels manifestes d’irrégularité.
Foire Aux Questions (FAQ)
Qu’est-ce que l’obligation de vigilance du PSP en droit commun ?
L’obligation de vigilance est un devoir contractuel du PSP qui tempère le principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client. Elle impose au PSP de vérifier si les documents soumis à son examen comportent des irrégularités matérielles qui pourraient faire naître une suspicion de fraude concernant l’opération.
Pourquoi l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 16 septembre 2025 est-il important ?
Cet arrêt confirme qu’en cas de fraude au virement jugée antérieure à l’ordre (et donc qualifiée de paiement autorisé), la responsabilité de la banque peut être engagée sur la base de la responsabilité contractuelle de droit commun. La banque est jugée responsable si elle manque à son obligation de vigilance en ignorant des anomalies matérielles claires sur les documents fournis.
Quelles anomalies concrètes la Cour d’appel a-t-elle retenues contre la Caisse d’Épargne ?
La Cour a relevé que le RIB utilisé pour le virement frauduleux présentait trois anomalies principales : une discordance de forme par rapport aux RIB précédents, un changement de l’adresse de domiciliation du compte de réception ([Localité 7] au lieu de [Localité 5]), et l’utilisation d’un code BIC correspondant à une banque en ligne peu utilisée par les professionnels.
Que doit faire un PSP lorsqu’il détecte de telles anomalies ?
Selon la Cour, ces discordances auraient dû inciter le PSP à davantage de vigilance et, surtout, à solliciter une confirmation de l’ordre de paiement auprès du client donneur d’ordre, afin de lui faire prendre conscience du risque encouru.
L’article L133-21 du CMF sur l’identifiant unique s’appliquait-il dans cette affaire ?
L’article L133-21 du CMF énonce que si l’utilisateur fournit un identifiant unique inexact, le PSP n’est pas responsable de la mauvaise exécution. Cependant, dans l’affaire de Besançon, le litige portait sur le manquement à l’obligation de vigilance face à des anomalies documentaires (forme du RIB, adresses), et non uniquement sur l’exécution conforme à un identifiant unique inexact. La Cour a écarté le régime strict du CMF pour les paiements non autorisés, appliquant le régime de droit commun basé sur la faute du banquier.
Que se passe-t-il si le PSP du payeur ne parvient pas à récupérer les fonds après un virement mal exécuté à cause d’un identifiant inexact ?
Même si le PSP n’est pas responsable si l’identifiant unique est inexact, il doit s’efforcer de récupérer les fonds. S’il échoue, il doit mettre à disposition du payeur, à sa demande, les informations qu’il détient pour documenter le recours en justice du payeur en vue de récupérer les fonds. Des frais de recouvrement peuvent être imputés à l’utilisateur si le contrat le prévoit.