Information annuelle de la caution : la cour de cassation impose la vérification nominative des listings d’envoi pour prouver l’obligation (cass. Com., 18 juin 2025, n° 23-14.713)

L’obligation annuelle d’information des cautions, historiquement codifiée à l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier (CMF) (dans sa version alors applicable), est une pierre angulaire de la protection du garant personne physique. Pour les établissements de crédit, le respect de cette obligation conditionne la préservation de leur droit aux intérêts : en cas de manquement avéré, la sanction est la déchéance du droit aux intérêts au taux contractuel.

Face au volume conséquent des envois annuels, la jurisprudence a longtemps cherché un équilibre entre la protection de la caution et la faisabilité de la preuve pour la banque. Cependant, un arrêt majeur de la Cour de cassation, publié au bulletin le 18 juin 2025 (n° 23-14.713), vient renforcer drastiquement la charge probatoire de la banque en exigeant une traçabilité individualisée de l’information.

I. Les principes généraux de la preuve de l’envoi

L’information de la caution est considérée comme un fait juridique dont la preuve peut être rapportée par tout moyen. Il incombe à l’établissement de crédit de prouver qu’il a effectivement mis en œuvre l’information.

En pratique, l’envoi d’une information annuelle est un fait. La preuve exacte de la réception de la lettre par la caution concernée n’est généralement pas exigée de la banque, compte tenu du nombre important de lettres à envoyer chaque année. Néanmoins, la banque doit toujours produire la copie de la lettre d’information adressée spécifiquement à la caution.

Historiquement, pour établir la preuve de l’envoi, les banques recouraient couramment à des procès-verbaux de constat d’huissier de justice (ou de commissaire de justice) attestant du contrôle de la réalité des envois groupés annuels. Parfois, la seule production des copies des courriers d’information suffisait à faire présumer l’exécution de l’obligation, même si la seule production de la copie ne suffisait pas à établir la preuve de leur envoi.

Cette pratique des constats groupés vient d’être remise en cause par l’arrêt du 18 juin 2025 (n° 23-14.713) dans sa portée probatoire.

II. L’insuffisance du constat d’envoi global

L’arrêt rendu par la Chambre commerciale le 18 juin 2025 (n° 23-14.713) découle d’un litige opposant M. [B] à la société Banque populaire rives de Paris. Cette dernière avait consenti un prêt (d’un montant de 45 000 €, selon le contexte) garanti par l’engagement de caution de M. [B] daté du 10 novembre 2017. Après la mise en liquidation judiciaire du débiteur principal, la banque a assigné la caution.

M. [B] contestait sa condamnation, arguant d’un manquement de la banque à l’obligation d’information annuelle (article L. 313-22 CMF, alors applicable) et demandant la déchéance des intérêts.

La Décision contestée

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 1er février 2023, avait rejeté la demande de déchéance des intérêts. Les juges du fond avaient retenu que la banque avait produit les lettres d’information adressées à M. [B] et justifiait de leur envoi par la production de procès-verbaux de constat d’huissier de justice datés notamment des 14 mars 2018 et 8 mars 2019. La cour d’appel en avait déduit que ces éléments prouvaient « de manière suffisante la réalité de l’envoi de l’information aux cautions » et, partant, le respect de l’obligation.

La règle posée par la Cour de cassation

La Cour de cassation a procédé à une cassation partielle de l’arrêt, estimant que la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 313-22 du CMF, alors applicable.

La Cour a établi que, pour rejeter la demande de déchéance des intérêts formée par la caution, il incombait aux juges de « rechercher si le nom de la caution figurait dans les listings d’envoi des lettres d’information ».

En l’espèce, le défaut de recherche par la cour d’appel sur la présence du nom de M. [B] dans les listings d’envoi (visés par les constats d’envoi groupés datés du 14 mars 2018 et du 8 mars 2019) a conduit à la censure de l’arrêt. Si le nom de la caution est manquant sur ce listing d’envoi vu par le commissaire de justice, cela suffit à « rendre moins vraisemblable la preuve de l’envoi à cette caution en particulier ».

L’affaire a été renvoyée devant une autre formation de la cour d’appel de Paris.

III. Conséquences pratiques : l’impératif de la traçabilité nominative

Cet arrêt du 18 juin 2025 (n° 23-14.713) est déterminant. La solution est conforme à la jurisprudence actuelle qui exige que le nom de la caution figure sur le listing d’envoi des lettres vu par le commissaire de justice.

Pour garantir la preuve du respect de l’obligation d’information annuelle et éviter la sanction de la déchéance des intérêts, les établissements de crédit doivent désormais s’assurer :

  1. De la production de la copie de la lettre d’information adressée à la caution.
  2. De la production du procès-verbal de constat du commissaire de justice attestant des envois groupés.
  3. Et surtout, que le listing d’envoi, contrôlé et visé par le commissaire de justice, comporte de manière explicite et vérifiable le nom de la caution poursuivie.

En somme, la preuve de l’envoi, même facilitée par des procédures d’envoi massives et contrôlées, doit pouvoir être individualisée et rattachée de manière certaine à la caution concernée pour être considérée comme suffisante par les juges du fond.

1521 2281 max

Besoin de conseils juridiques personnalisés ?

Ne restez pas seul face à vos questions. Un avocat peut vous rappeler gratuitement pour faire le point sur votre situation.

Besoin de conseils juridiques personnalisés ?

RGPD :

Articles similaires

prets en ch victoire pour les frontaliers

Revirement de jurisprudence de la Cour de cassation : l’annulation des prêts en francs suisses enfin ouverte à tous les frontaliers (Cass. 1ère civ., 9 juillet 2025, n° 24- 19.647 et 24-18.018, Publiés au bulletin)

Ces dix dernières années, la protection des consommateurs ayant souscrit des prêts en francs suisses pour l’achat d’un bien en France a été au centre ...

fraude carte bancaire 1

Résiliation de la convention de compte et respect du délai de préavis : Analyse juridique et pratique

Cass. com., 12 juin 2024, n° 22-13226 La résiliation d’une convention de compte de dépôt, souvent perçue comme un acte unilatéral de l’établissement de crédit, ...

emxn1y8qxwogdxbsb2fkeg55bgfilxn0dw50lxnncbpfa2xpbmcvyzytwjhoeuzpqudtsvbkvnlycvprqs8zedjfqv9yzwfsaxn0awnfyw5kx2vszwdhbnrfc2nlbmvfaw4ucg5n

Clause de déchéance du terme abusive et résolution judiciaire – CA Colmar, ch. 3 a, 16 juin 2025, n° 24/02617

Le droit du crédit à la consommation est un domaine où l’équilibre contractuel entre le prêteur professionnel et le consommateur emprunteur est constamment examiné par ...