En tant qu’emprunteur, vous bénéficiez d’une protection légale forte, notamment l’obligation pour le prêteur de vous informer clairement avant toute souscription de crédit à la consommation. L’instrument clé de cette information est la Fiche d’Informations Précontractuelles Européennes Normalisées (FIPEN). L’absence de preuve de sa remise au consommateur peut entraîner la déchéance du droit aux intérêts pour l’établissement financier.
Cet article vous présente les exigences précises de la Cour de cassation et des Cours d’appel concernant la preuve de cette remise, un domaine où la vigilance des juges est maximale.
1. La charge de la preuve : une responsabilité exigée du prêteur
Le Code de la consommation impose au prêteur ou à l’intermédiaire de crédit de fournir à l’emprunteur, préalablement à la conclusion du contrat, les informations nécessaires par écrit ou sur un autre support durable.
L’article L. 341-1 du Code de la consommation prévoit que le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer les informations précontractuelles dans les conditions fixées par l’article L. 312-12 encourt la déchéance du droit aux intérêts.
Le principe fondamental est le suivant : il appartient au prêteur de rapporter la preuve de la remise effective de la fiche précontractuelle à l’emprunteur.
2. Le Principe de la preuve corroborée
Pour s’acquitter de cette charge, les établissements financiers incluent souvent dans l’offre de prêt une clause type par laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la FIPEN.
Toutefois, la jurisprudence est constante sur ce point : la signature d’une clause type ne suffit pas à justifier la remise de la fiche à l’emprunteur. La Cour de cassation considère en effet que cette clause type est seulement un indice.
Cet indice doit impérativement être corroboré par un ou plusieurs éléments complémentaires.
Référence Jurisprudentielle Clé : Ce principe de l’indice nécessitant corroboration est une règle établie de longue date, notamment par la Cour de cassation (Civ. 1ère, 5 juin 2019, n° 17-27.066, publié).
3. Ce que la jurisprudence rejette comme preuve
L’enjeu majeur pour le prêteur est de trouver un élément de corroboration qui ne puisse pas être facilement remis en cause. Sur ce point, la Cour de cassation a posé une limite très stricte :
Un document qui émane du seul prêteur ne peut utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt.
Ceci signifie que si l’établissement financier produit uniquement un document qu’il a lui-même rédigé ou émis, sans intervention active (signature, paraphe) de l’emprunteur, ce n’est pas suffisant pour établir la preuve légale de la remise.
Référence jurisprudentielle : La Cour de cassation, Première chambre civile, dans un arrêt publié au bulletin du 7 juin 2023 (pourvoi n° 22-15.552), a rappelé et appliqué strictement cette règle. Dans cette affaire, la Cour a censuré une cour d’appel qui avait pourtant jugé qu’un FIPEN, bien que sans signature ni paraphe des emprunteurs, confortait utilement l’offre car il était rédigé avec les caractéristiques essentielles du contrat de prêt. La Cour a cassé cette analyse, réaffirmant qu’un document émanant de la seule banque ne pouvait pas utilement corroborer la clause type.
4. L’Illustration pratique : l’arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry (2025)
La mise en œuvre de ces règles strictes a été récemment illustrée par un arrêt de la Cour d’appel de Chambéry.
Les faits (CA Chambéry, 2ème chambre, 4 septembre 2025, n° 23/01810) : Dans une affaire opposant la société Cofidis à M. et Mme [U], concernant un contrat de regroupement de crédits de 80 000 euros datant de 2016, le juge de première instance avait prononcé la déchéance du droit aux intérêts pour l’absence de remise effective de la FIPEN.
La société Cofidis a fait appel de ce jugement. Elle produisait la FIPEN, qui était jointe à un courrier simple du prêteur adressé aux emprunteurs.
L’Analyse de la Cour d’Appel : La Cour d’appel de Chambéry (2e chambre, 4 septembre 2025, n° 23/01810) a confirmé le jugement initial. Elle a relevé que :
- La FIPEN produite ne comportait ni la signature ni le paraphe des emprunteurs.
- Le document était joint à un courrier simple dont la réception n’était pas justifiée en l’absence d’avis de réception.
- La FIPEN, qui émanait du seul prêteur, était jugée insuffisante pour corroborer la clause type du contrat par laquelle les emprunteurs reconnaissaient avoir reçu le document.
En l’absence de tout autre élément probant, la Cour a jugé que le premier juge avait prononcé « à juste titre » la déchéance du droit aux intérêts à l’encontre du prêteur.
5. La conséquence pour l’emprunteur : la déchéance du droit aux intérêts
Lorsque le manquement à l’obligation précontractuelle est prouvé, la sanction est majeure. L’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu.
De plus, les sommes perçues au titre des intérêts (à compter du jour de leur versement) doivent être restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.
Dans l’affaire jugée à Chambéry, cela s’est traduit par :
- Le capital prêté était de 80 000 euros.
- Les versements effectués par les emprunteurs (incluant intérêts et capital) s’élevaient à 61 188,83 euros.
- Après déduction de ces versements du capital prêté (car les intérêts versés sont imputés sur le capital), les emprunteurs ont été condamnés uniquement à payer le solde restant dû du capital, soit 18 811,17 euros (avec intérêts au taux légal).
En conclusion, en tant qu’emprunteur, vous détenez un droit fondamental à une information précontractuelle complète et prouvée. La jurisprudence est claire : si le prêteur ne peut fournir un élément de preuve de la remise de la FIPEN qui n’émane pas uniquement de lui (comme un document signé ou paraphé par vous), la clause type de reconnaissance de réception est insuffisante, exposant le prêteur à la très lourde sanction de la déchéance de son droit aux intérêts.