La résolution du contrat de crédit immobilier : portée de l’interdépendance contractuelle (Civ. 1ère, 2 avril 2025, 23-19.513, Inédit)

Le contrat de crédit immobilier est, par essence, lié à l’opération qu’il finance, le plus souvent l’acquisition d’un bien immobilier. Cette interdépendance contractuelle est un pilier fondamental du droit de la consommation en matière de crédit immobilier en France, protégeant l’emprunteur face à la défaillance du contrat principal. L’article L313-36 du Code de la consommation, anciennement L. 312-12, est la pierre angulaire de ce dispositif.

Cour de cassation, Chambre civile 1, 2 avril 2025, 23-19.513, Inédit

I. Le principe de l’interdépendance et la condition résolutoire légale

L’article L313-36 du Code de la consommation dispose que « l’offre est toujours acceptée sous la condition résolutoire de la non-conclusion, dans un délai de quatre mois à compter de son acceptation, du contrat pour lequel le prêt est demandé ». Les parties peuvent néanmoins convenir d’un délai plus long.

Ce texte fondamental implique une conséquence majeure : la résolution judiciaire du contrat de vente, en raison de l’effet rétroactif qui y est attaché, entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt. Cela signifie que si le contrat d’acquisition du bien immobilier est annulé ou résolu par une décision de justice, le contrat de prêt destiné à financer cette acquisition est réputé n’avoir jamais existé ou prend fin automatiquement. L’objectif est clair : le consommateur ne doit pas rester engagé par un prêt dont il n’a plus l’utilité.

II. Une illustration des enjeux : Civ. 1ère, 2 avril 2025, 23-19.513, Inédit

Une récente série de décisions de justice a permis de clarifier la portée de cette interdépendance, notamment concernant la nécessité pour le prêteur d’être partie à la procédure de résolution du contrat principal.

A. Les faits et les premières décisions

L’affaire opposant M. et Mme [U] au Crédit Mutuel de Bordeaux Intendance est révélatrice des enjeux pratiques de cette interdépendance. Les époux [U] avaient souscrit un prêt auprès de cette banque pour financer l’acquisition en l’état futur de rénovation de biens et droits immobiliers. Les travaux n’ayant jamais été réalisés en raison de la liquidation judiciaire de la société venderesse, les époux [U] ont obtenu la résolution judiciaire de la vente par un jugement du Tribunal de Grande Instance de Foix en date du 14 mai 2014.

Par la suite, se prévalant de la résolution de plein droit de leur contrat de prêt, les époux [U] ont assigné le Crédit Mutuel en avril 2018 pour obtenir le remboursement des sommes qu’ils estimaient avoir été prélevées abusivement et des dommages-intérêts. Le Tribunal Judiciaire de Bordeaux, par un jugement du 10 novembre 2020, a débouté les époux [U] de leurs demandes.

B. Le débat sur l’opposabilité de la résolution en l’absence du prêteur

Les époux [U] ont interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 6 juin 2023 (CA Bordeaux, 1re ch. civ., 6 juin 2023, n° 20/04819), a confirmé le jugement de première instance. Bien qu’elle ait rappelé que la résolution judiciaire du contrat de vente entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt, la Cour d’appel a jugé que cette résolution de plein droit du contrat de prêt n’est pas opposable à l’établissement prêteur lorsque celui-ci n’a pas été appelé à l’instance de résolution de la vente. Selon la Cour d’appel, ne pas attrait la banque à cette instance et ne pas lui permettre de présenter ses observations et de faire valoir ses droits violerait le principe de l’effet relatif des contrats et le principe du contradictoire. Dans cette affaire, le Crédit Mutuel n’ayant pas été appelé devant le tribunal de Foix, la résolution du prêt lui était inopposable.

III. La clarification de la Cour de cassation : une résolution de plein droit même sans présence du prêteur

Cette position de la Cour d’appel de Bordeaux a été contestée devant la Cour de cassation. Dans un arrêt du 2 avril 2025 (Civ. 1ère, 2 avril 2025, 23-19.513, Inédit), la Première Chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux.

La Cour de cassation a réaffirmé que, conformément à l’article L. 312-12 (devenu L. 313-36) du Code de la consommation, la résolution judiciaire du contrat de vente, en raison de son effet rétroactif, entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt.

Le point crucial de sa décision est qu’en statuant comme elle l’avait fait, la Cour d’appel de Bordeaux avait privé sa décision de base légale. La Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel n’aurait pas dû exiger la présence de la banque dans l’instance de résolution de la vente. En d’autres termes, la résolution du contrat de crédit peut être prononcée à la suite de la résolution du contrat de vente, peu important que cette dernière ait été prononcée dans une instance dans laquelle la banque n’était pas présente. Les juges du fond avaient ajouté une condition d’application à l’article L. 313-36 qui n’a pas lieu d’être. L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Toulouse.

Conclusion

Cet arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 2025 est d’une importance capitale. Il renforce la protection des consommateurs en confirmant la portée automatique et inconditionnelle de la résolution du crédit immobilier en cas de résolution du contrat principal qu’il finance. Il clarifie de manière définitive que l’interdépendance des contrats de vente et de prêt est si forte que la résolution du premier entraîne celle du second, même si le prêteur n’a pas été formellement impliqué dans la procédure ayant mené à la résolution du contrat de vente. Cela assure que les emprunteurs ne restent pas redevables d’un prêt sans contrepartie, conformément à l’esprit du Code de la consommation.

En tant qu’avocat en droit bancaire, je vous propose cette FAQ pour vous aider, en tant qu’emprunteurs, à mieux comprendre vos droits concernant la résolution du contrat de crédit immobilier, notamment à la lumière des récentes décisions de justice.


FAQ : Comprendre la résolution de votre contrat de crédit immobilier

Cette foire aux questions vise à éclaircir vos droits et les mécanismes de résolution de votre prêt immobilier, notamment lorsque le contrat principal qu’il finance (le plus souvent une vente immobilière) est remis en cause.

Qu’est-ce que l’interdépendance entre le contrat de crédit immobilier et le contrat de vente ?

L’interdépendance est un principe fondamental du droit de la consommation en matière de crédit immobilier. Cela signifie que votre prêt immobilier est directement lié à l’opération qu’il est censé financer, comme l’achat d’un bien immobilier. Si l’opération principale échoue ou est annulée, le contrat de prêt en subit les conséquences.

Que dit l’article L313-36 du Code de la consommation à ce sujet ?

L’article L313-36 du Code de la consommation (anciennement L. 312-12) est la pierre angulaire de ce principe. Il stipule que « l’offre est toujours acceptée sous la condition résolutoire de la non-conclusion, dans un délai de quatre mois à compter de son acceptation, du contrat pour lequel le prêt est demandé« . Les parties peuvent toutefois convenir d’un délai plus long. Ce texte fondamental implique que la résolution judiciaire du contrat de vente entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt.

Que se passe-t-il si mon contrat de vente immobilière est résolu par un juge ?

Si le contrat d’acquisition du bien immobilier est annulé ou résolu par une décision de justice, le contrat de prêt destiné à financer cette acquisition est réputé n’avoir jamais existé ou prend fin automatiquement. L’objectif est que le consommateur ne reste pas engagé par un prêt dont il n’a plus l’utilité. La résolution judiciaire du contrat de vente, en raison de son effet rétroactif, entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt.

La banque doit-elle être présente lors du jugement qui prononce la résolution de la vente pour que mon prêt soit résolu ?

Non. C’est un point crucial qui a été clarifié par la Cour de cassation. Initialement, la Cour d’appel de Bordeaux avait jugé que la résolution de plein droit du contrat de prêt n’était pas opposable à l’établissement prêteur si celui-ci n’avait pas été appelé à l’instance de résolution de la vente. Elle estimait que ne pas attrait la banque violait le principe de l’effet relatif des contrats et le principe du contradictoire.

Cependant, la Cour de cassation, dans son arrêt du 2 avril 2025, a cassé cette décision. Elle a réaffirmé que la résolution judiciaire du contrat de vente entraîne de plein droit la résolution du contrat de prêt, et ce, peu important que la banque n’ait pas été présente lors de l’instance de résolution de la vente. La Cour d’appel avait ajouté une condition d’application à l’article L. 313-36 qui n’a pas lieu d’être.

Que s’est-il passé dans l’affaire U. contre Crédit Mutuel (Civ. 1ère, 2 avril 2025, 23-19.513, Inédit) ?

Les époux [U] avaient contracté un prêt auprès du Crédit Mutuel pour financer l’acquisition en l’état futur de rénovation de biens immobiliers.

Les travaux n’ayant pas été réalisés en raison de la liquidation judiciaire du vendeur, les époux [U] ont obtenu la résolution judiciaire de la vente par un jugement du Tribunal de Grande Instance de Foix le 14 mai 2014.

Par la suite, se prévalant de la résolution de plein droit de leur prêt, ils ont assigné le Crédit Mutuel en remboursement des sommes prélevées.

Le Tribunal Judiciaire de Bordeaux et la Cour d’appel de Bordeaux (arrêt du 6 juin 2023) ont débouté les époux [U], estimant que la résolution du prêt n’était pas opposable à la banque car elle n’avait pas été appelée à l’instance de résolution de la vente.

Les époux [U] ont formé un pourvoi en cassation. La Cour de cassation, par son arrêt du 2 avril 2025, a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel de Bordeaux, renvoyant l’affaire devant la Cour d’appel de Toulouse.

Quelles sont les implications de l’arrêt de la Cour de cassation du 2 avril 2025 pour les emprunteurs ?

Cet arrêt est d’une importance capitale pour les consommateurs. Il renforce la protection des emprunteurs en confirmant la portée automatique et inconditionnelle de la résolution du crédit immobilier en cas de résolution du contrat principal qu’il finance.

Cela signifie que :

  • Si votre contrat de vente immobilière est résolu par une décision de justice, votre contrat de prêt peut être également automatiquement résolu.
  • Vous n’avez pas l’obligation d’appeler la banque en tant que partie à la procédure judiciaire qui mène à la résolution du contrat de vente.
  • Cette clarification assure que les emprunteurs ne restent pas redevables d’un prêt sans contrepartie, conformément à l’esprit du Code de la consommation.
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