L’accord entre prêteur et emprunteur : une fin de non-recevoir pour le juge ? Pas si vite !

Dans le domaine du crédit à la consommation, il est fréquent que prêteur et emprunteur, face à des difficultés, tentent de trouver une solution amiable, souvent matérialisée par un accord de reconnaissance de dette ou de rééchelonnement. Mais qu’advient-il lorsque cet accord est conclu et qu’un litige est porté devant le juge ? Un tel arrangement préalable limite-t-il l’office du juge en matière de protection du consommateur et de clauses abusives ? La jurisprudence européenne et les applications récentes en droit français, comme en témoigne un jugement du Tribunal de proximité de Villejuif, apportent des éclaircissements intéressants.

Le principe : l’obligation d’examen d’office du juge pour la protection du consommateur

La protection des consommateurs est un pilier du droit de l’Union européenne, notamment à travers la Directive 93/13/CEE sur les clauses abusives. Cette directive repose sur le constat d’une situation d’infériorité du consommateur à l’égard du professionnel, tant en termes de pouvoir de négociation que de niveau d’information. Cette situation le conduit à adhérer à des conditions pré-rédigées sans pouvoir exercer d’influence sur leur contenu. Pour compenser ce déséquilibre, l’article 6, paragraphe 1, de la directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative visant à substituer un équilibre réel à l’équilibre formel du contrat.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a constamment rappelé le rôle actif du juge national. Celui-ci est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive. Ce n’est pas une simple faculté, mais une obligation dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Pour assurer l’effectivité de cette protection, le juge national doit tirer toutes les conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause afin de s’assurer que le consommateur n’est pas lié par celle-ci. De plus, lors de cet examen, le juge doit tenir compte de toutes les autres clauses du contrat, ou même d’un autre contrat dont il dépend, pour apprécier le caractère abusif d’une clause.

Quand l’office du juge peut-il être limité ? L’éclairage de la CJUE (Affaire Banif Plus Bank – CJUE, 21 févr. 2013, n° C-472/11)

La question de savoir si un juge peut se trouver limité dans son office a été abordée par la CJUE dans son arrêt du 21 février 2013, dans l’affaire C-472/11, Banif Plus Bank Zrt. Cette décision est fondamentale pour comprendre les limites de l’intervention du juge national face à des accords préexistants.

Le principe est clair : la pleine efficacité de la protection prévue par la directive exige que le juge national, ayant constaté d’office le caractère abusif d’une clause, puisse en tirer toutes les conséquences sans attendre que le consommateur, informé de ses droits, présente une déclaration demandant que ladite clause soit annulée.

Cependant, la CJUE a précisé que le juge national n’est pas tenu d’écarter l’application de la clause en cause si le consommateur, après avoir été avisé par ledit juge, entend ne pas en faire valoir le caractère abusif et non contraignant. Cela signifie que l’office du juge ne peut être limité que si le consommateur demande de manière expresse et éclairée à renoncer à la protection dont il bénéficie, donnant ainsi un consentement libre et éclairé à la clause en question.

Cette exigence de renonciation éclairée est capitale. Elle illustre un équilibre entre la protection impérative du consommateur et le respect de sa volonté.

Par ailleurs, tout en agissant d’office, le juge doit respecter le principe du contradictoire, qui fait partie des droits de la défense. Cela implique que, lorsqu’il constate d’office le caractère abusif d’une clause, il est, en règle générale, tenu d’en informer les parties au litige et de les inviter à en débattre contradictoirement selon les formes prévues par les règles nationales de procédure. Cette obligation d’information et de débat n’est pas incompatible avec le principe d’effectivité de la protection du consommateur.

Application en droit français : l’affaire FRANFINANCE illustrée par le Tribunal de Villejuif (T. prox. Villejuif, 27 mars 2025, n° 11-23-001571)

Un jugement récent du Tribunal de proximité de Villejuif du 27 mars 2025 (n° 11-23-001571) fournit une illustration concrète de ces principes. Dans cette affaire, la société FRANFINANCE (anciennement SOGEFINANCEMENT) avait consenti un crédit à M. C.. Suite à des impayés, la banque a assigné M. C. en paiement.

À l’audience, un accord a été évoqué par lequel M. C. reconnaissait être débiteur d’une somme de 5 293,03 € et les parties s’accordaient sur des délais de paiement. La banque a même déclaré renoncer à d’autres demandes accessoires.

Malgré cet accord, le Tribunal de Villejuif a jugé que la présence d’un tel arrangement ne faisait pas obstacle à la possibilité offerte au juge de contrôler la régularité du contrat au regard des dispositions d’ordre public du Code de la consommation. Pourquoi ? Parce que M. C. n’avait pas expressément demandé à renoncer à la protection que lui offre le code de la consommation s’agissant de la déchéance du droit aux intérêts. Au contraire, il sollicitait la réduction du taux d’intérêt et demandait à ne pas être débiteur desdits intérêts. Le Tribunal a donc pu réouvrir les débats pour recueillir les observations des parties sur d’éventuelles irrégularités.

Le juge a donc procédé à un examen d’office de la régularité du contrat, révélant plusieurs manquements graves du prêteur :

  • Défaut de preuve de remise de la Fiche d’Informations Pré-contractuelles Européenne Normalisée (FIPEN) : Bien que l’offre de crédit mentionnait que l’emprunteur avait reçu la FIPEN, l’exemplaire produit ne comportait aucune signature de l’emprunteur, et aucune autre preuve n’a été apportée. Ce manquement est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts.
  • Informations incomplètes dans l’offre de prêt : L’encadré de l’offre ne mentionnait pas toutes les hypothèses utilisées pour calculer le Taux Annuel Effectif Global (TAEG) et ne précisait pas les conditions et modalités de résiliation du contrat par l’emprunteur, contrairement aux exigences légales.
  • Consultation non probante du Fichier National des Incidents de Remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) : La fiche FICP produite par la banque ne comportait aucune en-tête permettant d’identifier son émetteur, rendant la consultation non probante au regard des dispositions légales. Ce défaut est également sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts.

La conséquence de ces manquements a été la déchéance totale du droit aux intérêts pour la société FRANFINANCE. Cela signifie que l’emprunteur n’est débiteur que du capital emprunté, duquel sont déduits les paiements déjà effectués. Dans cette affaire, le montant des versements déjà opérés par M. C. (43 721,98 €) était supérieur au capital emprunté (34 060,00 €), entraînant un solde négatif de -9 661,98 €. En conséquence, le Tribunal a rejeté toutes les demandes en paiement de la banque, y compris la demande de M. C. de se reconnaître débiteur d’une somme moins élevée, car la banque n’était plus créancière d’aucune somme. Le contrat de crédit a été résolu, et la banque a été condamnée aux dépens.

Ce qu’il faut retenir

Ce jugement, conforté par la jurisprudence de la CJUE, rappelle avec force que la protection des consommateurs est un impératif d’ordre public. Un accord préalable, même s’il semble reconnaître une dette, ne dispense pas le juge d’examiner la régularité du contrat et l’éventuel caractère abusif de ses clauses. L’office du juge n’est limité que par une renonciation expresse et éclairée du consommateur à la protection légale.

Pour les prêteurs, il est donc essentiel de garantir une conformité irréprochable à toutes les obligations d’information pré-contractuelle et de consultation des fichiers. Toute défaillance peut conduire à des sanctions sévères, telle que la déchéance du droit aux intérêts, qui peut entraîner la perte totale de la créance d’intérêts et, comme dans cette affaire, l’impossibilité de réclamer tout solde dû si les versements effectués excèdent le principal.

Pour les emprunteurs, cette décision est une confirmation que, même en cas d’accord amiable, il est toujours opportun de faire examiner la validité du contrat par un professionnel du droit. La protection dont ils bénéficient est robuste et le juge en est le garant essentiel.

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