Quand la caution est-elle « appelée » par le créancier ? (Com. 9 juillet 2025, 24-18.368, Inédit)

En tant que caution, vous jouez un rôle essentiel dans le financement d’une entreprise ou d’un projet. Cependant, l’engagement de caution est lourd de conséquences, et la loi a prévu des mécanismes de protection, notamment en cas de disproportion manifeste entre votre engagement et vos capacités financières.

L’une des questions juridiques les plus importantes pour déterminer si vous pouvez être déchargé de votre obligation porte sur la capacité de votre patrimoine à faire face à la dette, non pas au moment de la signature, mais au moment où vous êtes effectivement « appelé » par le créancier.

Grâce à la jurisprudence récente, notamment celle de la Cour de cassation, nous pouvons illustrer ce point fondamental.

1. La protection contre l’engagement disproportionné : le cadre légal (pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022)

Pour les cautionnements conclus avant le 1er janvier 2022, le droit de la consommation (ancien article L. 343-4, applicable dans certaines configurations) offre une protection majeure aux cautions personnes physiques.

Ce texte dispose qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique si l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Cependant, cette protection est assortie d’une exception cruciale : si, au moment où la caution est appelée, son patrimoine lui permet de faire face à son obligation, elle ne sera pas déchargée.

Ainsi, deux moments temporels sont déterminants :

  1. La date de conclusion du contrat (pour évaluer la disproportion initiale).
  2. Le moment où la caution est appelée (pour évaluer la capacité de paiement actuelle).

2. La Définition Précise du moment « Où la caution est appelée »

L’interprétation de l’expression « au moment où celle-ci est appelée » est essentielle, car elle permet de déterminer si votre situation financière, même si elle était initialement fragile, s’est améliorée ou si elle est suffisante pour couvrir la dette restante.

La Cour de cassation a apporté une clarification déterminante sur ce point. Pour apprécier si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation, le juge doit se placer au jour où la caution est assignée.

Ce n’est donc ni la date de la défaillance du débiteur principal, ni la date de la simple mise en demeure par courrier, mais bien la date de l’acte juridique initiant la procédure de recouvrement judiciaire qui fait foi.

Point clé à retenir : Le moment « où la caution est appelée » correspond précisément au jour de l’assignation en justice intentée par le créancier (par exemple, une banque).

3. Illustration par la Jurisprudence (CA Limoges et Cassation 2024-2025)

L’affaire jugée par la Cour d’appel de Limoges le 30 mai 2024, puis cassée par la Cour de cassation le 9 juillet 2025, offre une illustration parfaite de l’application de ce principe et des erreurs d’appréciation possibles.

Le Contexte de l’Affaire

Dans cette affaire, la Société BANQUE POPULAIRE a consenti des prêts à une société, la SAS [C] [K]. M. [L] [C] et Mme [U] [K] se sont portés cautions solidaires pour ces prêts, engageant un montant total de 397 500 euros.

Suite à la liquidation judiciaire de la société débitrice le 23 novembre 2021, la banque a :

  1. Déclaré ses créances et mis en demeure les cautions de payer le 15 décembre 2021.
  2. Assigné les cautions en paiement les 17 et 18 février 2022.

L’Appréciation de la Disproportion

La Cour d’appel de Limoges a constaté que l’engagement des cautions était manifestement disproportionné lors de sa conclusion : les cautions étaient sans emploi ni ressource lors de la signature et ne disposaient que d’un patrimoine immobilier limité (leur domicile). La cour a conclu que la banque ne pouvait se prévaloir du cautionnement.

Cependant, pour écarter l’exception permettant au créancier de se prévaloir du cautionnement, même disproportionné, si le patrimoine a prospéré au moment de l’appel, la Cour d’appel s’est bornée à constater que les avoirs des cautions « n’avaient pas prospéré lors de l’appel de la caution ».

La Sanction de la Cour de Cassation

La banque a fait grief à cet arrêt, arguant que la cour d’appel aurait dû comparer le patrimoine des cautions non pas au montant initial de leur engagement (397 500 €), mais au montant des sommes qui leur étaient effectivement réclamées au moment où elles étaient appelées. La banque réclamait des sommes bien moindres (environ 91 186,06 € et 11 153,16 €).

La Cour de cassation a donné raison à la banque et a censuré la décision, car la cour d’appel :

  1. N’a pas recherché si, à la date où les cautions ont été appelées (assignées), leur patrimoine leur permettait de faire face aux sommes réclamées.
  2. A omis de vérifier si la valeur de leur immeuble d’habitation (acquis 145 000 euros, selon les dires de la banque) permettait de couvrir la dette restante.

4. Conclusion pour les Cautions

Pour déterminer si vous êtes redevable en cas de cautionnement initialement disproportionné, vous devez impérativement identifier la date à laquelle le créancier vous a assigné en justice. C’est à cette date que l’état de votre patrimoine (actifs, liquidités, biens immobiliers, etc.) est comparé au montant restant dû au créancier.

Si la dette à ce moment précis est couverte par votre patrimoine, même si votre situation était initialement précaire, le créancier pourra se prévaloir de votre engagement. Une vigilance s’impose donc non seulement lors de la souscription, mais surtout lors de l’ouverture de la procédure judiciaire.

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