La Cour de cassation a récemment rendu un avis important le 8 octobre 2025 (référence : Cass. 1re civ., 8 oct. 2025, n° 25-70.016, Publié au bulletin) concernant la validité des clauses de déchéance du terme dans les contrats de crédit à la consommation. Cette décision, issue d’une demande d’avis formulée par le Tribunal judiciaire de Papeete (et auparavant le TGI Papeete), apporte des éclaircissements sur vos droits si votre prêteur tente de réclamer le remboursement immédiat de la totalité de votre prêt pour un motif autre qu’un défaut de paiement.
I. Le Contexte : la question de la déchéance du terme
La déchéance du terme est le mécanisme qui permet au prêteur de demander le remboursement immédiat de la totalité du capital restant dû, avant la date initialement prévue, si l’emprunteur manque à une obligation contractuelle.
L’interrogation soumise à la Cour de cassation portait spécifiquement sur les contrats de crédit à la consommation conclus à partir du 1er mai 2011 (date d’entrée en vigueur de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010) :
« La clause contenue dans un contrat de crédit à la consommation prévoyant la déchéance du terme pour un motif autre que celui relatif à la défaillance de l’emprunteur dans ses remboursements est-elle, pour les contrats conclus à partir du 1er mai 2011, abusive et /ou illicite? Est-elle sanctionnée par son caractère réputé non écrit, par la déchéance du droit aux intérêts ou par les deux? ».
Il est essentiel de comprendre que la réforme de 2010 a supprimé les modèles-types de contrats (loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation), ce qui a soulevé la question de la légalité de ces clauses non prévues par la loi pour les motifs autres que le défaut de paiement. Antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 2010 (c’est-à-dire avant le 1er mai 2011), l’ancien article L. 311-13 du code de la consommation exigeait que l’offre préalable de crédit soit établie selon l’un des modèles types fixés par le comité de réglementation bancaire. Avant 2011, la jurisprudence considérait que toute modification de ces mentions imposées par le contrat-type qui aggravait la situation de l’emprunteur était illicite et entraînait la sanction de la déchéance du droit aux intérêts.
II. La distinction fondamentale : Illégalité vs Clause abusive
Par ailleurs, l’avis de la Cour de cassation établit une distinction essentielle pour l’emprunteur entre le caractère illicite et le caractère abusif de la clause de déchéance du terme.
1. Le caractère non illicite (Pas de Perte des Intérêts)
La réforme du 1er juillet 2010 ayant supprimé ces modèles-types, la Cour en déduit qu’aucune disposition textuelle spéciale ne prohibe désormais les clauses de déchéance du terme pour d’autres causes que le non-respect des échéances, ce qui les rend non illicites (même si elles restent susceptibles d’être abusives).
Conséquence pour l’emprunteur :
- La clause n’est pas qualifiée d’illicite.
- Elle n’entraîne donc pas la sanction de la déchéance du droit aux intérêts (c’est-à-dire la perte pour la banque du droit de percevoir les intérêts).
2. Le caractère abusif (La Protection du Consommateur)
En revanche, même si elle n’est pas illicite, une telle clause est susceptible d’être déclarée abusive.
Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la consommation, est abusive la clause qui crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
Conséquence pour l’emprunteur :
- Si la clause est jugée abusive, elle est réputée non écrite. Cela signifie qu’elle est considérée comme n’ayant jamais existé dans le contrat.
III. Le Critère d’appréciation du caractère abusif : l’obligation essentielle
Pour déterminer si une clause de déchéance du terme est abusive, la Cour de cassation se réfère à la jurisprudence européenne (arrêt Banco Primus, CJUE, 26 janvier 2017).
Le critère d’abusivité est le suivant :
La clause de déchéance du terme est abusive et réputée non écrite notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt ne dépend pas de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause.
C’est au juge qu’il appartient d’apprécier ce caractère essentiel.
Exemples de clauses jugées abusives (non essentielles) :
La jurisprudence a déjà qualifié d’abusives des clauses de déchéance du terme basées sur des circonstances extérieures au contrat de crédit concerné, notamment :
- Le défaut de remboursement d’un autre emprunt souscrit par l’emprunteur (1re Civ., 1er février 2005, pourvoi n° 01-16.733, Bull. 2005, I, n° 60) ;
- La démission du salarié-emprunteur, dans le cas d’un prêt consenti par l’employeur ( 1re Civ., 5 juin 2019, pourvoi n° 16-12.519 .
Exemples de clauses potentiellement non abusives (essentielles) :
La qualification de clause abusive a été écartée lorsque le manquement portait sur des éléments fondamentaux du contrat, comme :
- Une déclaration inexacte des emprunteurs sur des éléments essentiels ayant déterminé l’accord de la banque ou pouvant compromettre le remboursement (à condition que l’emprunteur puisse avoir recours à un juge), (1re Civ., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-21.625) ;
- L’emploi des fonds à un autre usage que celui qui était prévu par le contrat (à condition que la clause ne prive pas l’emprunteur de recourir à un juge pour en contester l’application), (1re Civ., 24 janvier 2024, pourvoi n° 22-12.222).
IV. En conclusion : ce que l’emprunteur doit retenir
L’avis du 8 octobre 2025 donne la réponse suivante à la question posée :
- Non-Illicéité : La clause de déchéance du terme pour un motif autre que la défaillance de l’emprunteur n’est pas illicite et n’entraîne pas la déchéance du droit aux intérêts pour les contrats conclus après le 1er mai 2011.
- Abusivité : Cette clause sera déclarée abusive et réputée non écrite si la décision du prêteur de rendre le prêt immédiatement exigible ne repose pas sur l’inexécution par l’emprunteur d’une obligation essentielle du contrat.
Votre vigilance est requise : Si votre prêteur invoque une cause de déchéance du terme sans lien direct avec un manquement essentiel à vos obligations de prêt (comme le défaut de remboursement), vous disposez d’une base juridique solide pour contester l’abusivité de cette clause et demander au juge qu’elle soit réputée non écrite.
FAQ – Vos droits face à la déchéance du terme (Avis de la Cour de cassation du 8 octobre 2025)
La clause de déchéance du terme pour un motif autre que le défaut de paiement est-elle considérée comme illicite ?
Non. La Cour de cassation est d’avis que, pour les contrats conclus à partir du 1er mai 2011, cette clause n’est pas illicite. Elle justifie cela par le fait qu’aucune disposition textuelle spéciale ne prohibe désormais ces clauses pour d’autres causes que le non-respect des échéances de l’emprunt, suite à la suppression des modèles-types par la loi de 2010.
Quelle est la conséquence si la clause n’est pas illicite ?
Le fait que la clause ne soit pas qualifiée d’illicite signifie qu’elle n’entraîne pas la sanction de la déchéance du droit aux intérêts pour le prêteur.
Une telle clause peut-elle être contestée sur d’autres fondements ?
Oui. Même si elle n’est pas illicite, une telle clause est susceptible d’être déclarée abusive.
Qu’est-ce qui rend une clause abusive ?
Aux termes de l’article L. 212-1 du code de la consommation, est abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Quel est le critère clé utilisé par le juge pour déterminer le caractère abusif ?
Le critère essentiel est que la clause de déchéance du terme est abusive notamment si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt ne dépend pas de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présente un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause. Il appartient au juge d’apprécier ce caractère essentiel. Ce critère se fonde notamment sur la jurisprudence européenne (arrêt Banco Primus).
Si une clause est jugée abusive, quelle est la sanction ?
Si le juge déclare la clause abusive, celle-ci est réputée non écrite. Être réputée non écrite signifie que la clause est considérée comme n’ayant jamais existé dans le contrat. Le contrat peut subsister sans ces clauses abusives, s’il est possible de le faire.
Avez-vous des exemples de clauses de déchéance du terme jugées abusives par la jurisprudence ?
Oui, la Cour de cassation a déjà jugé abusives des clauses prévoyant la déchéance du terme pour des motifs qui sont extérieurs au contrat de crédit concerné. Ceci inclut :
- Le défaut de remboursement d’un autre emprunt souscrit par l’emprunteur.
- La démission du salarié-emprunteur, dans le cas où le prêt est consenti par l’employeur.
Y a-t-il des exemples où une clause de déchéance du terme est considérée comme non abusive ?
Oui. La qualification d’abusive a été écartée lorsque le manquement de l’emprunteur porte sur des obligations considérées comme fondamentales au contrat, telles que :
- Une déclaration inexacte des emprunteurs sur des éléments essentiels ayant déterminé l’accord de la banque ou pouvant compromettre le remboursement du prêt, à condition que le recours au juge ne soit pas exclu.
- L’emploi des fonds à un autre usage que celui qui était prévu par le contrat, à condition que cette clause ne prive pas l’emprunteur de la possibilité de contester son application devant un juge.