Clauses abusives et consommateur : prêts hypothécaires, investissements locatifs et caution dirigeante

Cet article explore une notion fondamentale au cœur de la protection des consommateurs : la qualité de consommateur face aux clauses abusives. Il analyse la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour clarifier la distinction entre un ‘consommateur’ et un ‘professionnel’, notamment dans le contexte d’un prêt hypothécaire pour un investissement locatif (buy-to-let) ou de contrats à usage mixte. La compréhension de cette distinction est essentielle pour la défense des droits et la contestation d’éventuelles clauses illicites en droit bancaire.

Qu’est-ce qu’un consommateur ? Un critère fonctionnel et objectif

La notion de consommateur est cruciale en droit de la consommation, mais elle peut susciter des hésitations et varier selon les domaines. Selon l’article 2, sous b), de la directive n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives, est un « consommateur » toute personne physique qui, dans les contrats relevant de cette directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle.

À l’inverse, un « professionnel » est toute personne physique ou morale agissant dans le cadre de son activité professionnelle. Le droit français, à travers l’article L. 212-1 du Code de la consommation, s’aligne sur cette distinction en appliquant la réglementation des clauses abusives aux « contrats conclus entre professionnels et consommateurs », étendant même cette protection aux « non-professionnels » via l’article L. 212-2.

La CJUE a clairement établi que la qualité de « consommateur » doit être déterminée au regard d’un critère fonctionnel, c’est-à-dire en appréciant si le rapport contractuel s’inscrit dans le cadre d’activités étrangères à l’exercice d’une profession (CJUE, 8 juin 2023, n° C-570/21). Cette approche objective se justifie par la situation d’infériorité du consommateur par rapport au professionnel, nécessitant une protection particulière.

Les éclaircissements récents de la CJUE

Plusieurs affaires récentes ont permis à la CJUE d’affiner cette définition, en particulier dans le domaine bancaire et immobilier.

1. L’acquisition d’un bien immobilier en vue de la location (Buy-to-let)

Une question fréquemment posée est de savoir si une personne physique qui achète un bien immobilier dans le but de le louer, et non pour son habitation personnelle, peut être considérée comme un consommateur.

  • L’affaire : Deux époux avaient acquis un bien immobilier à Varsovie dans l’objectif de le mettre en location, et avaient contracté un prêt hypothécaire indexé sur le franc suisse auprès d’une banque polonaise. Après avoir intégralement remboursé, ils ont saisi une juridiction polonaise pour contester des clauses qu’ils estimaient abusives. La question préjudicielle posée à la CJUE était de savoir si une personne physique contractant un prêt pour l’acquisition d’un seul local destiné à la location onéreuse (buy-to-let) devait être considérée comme un « consommateur ».
  • La solution de la CJUE (CJUE, 24 oct. 2024, n° C-347/23) : La Cour a jugé qu’une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire pour financer l’achat d’un seul bien immobilier résidentiel en vue de le louer à titre onéreux relève de la notion de « consommateur », au sens de la directive. Le seul fait que cette personne cherche à tirer des revenus de la gestion de ce bien ne l’exclut pas de cette qualification.
  • Implication : Il appartient au juge national d’établir si la personne a agi dans le cadre de son activité professionnelle ou à des fins étrangères à celle-ci, en tenant compte de la nature du bien. Considérer qu’un particulier perd la qualité de consommateur au seul motif qu’il recherche un profit sur une acquisition unique serait illogique et contraire au fondement de la réglementation des clauses abusives, car cela est fort éloigné de la commercialité qui suppose une pluralité d’acquisitions et une habitude.

2. Les contrats à usage mixte : professionnel et extra-professionnel

Qu’en est-il lorsqu’un contrat de crédit est destiné à un usage qui est en partie lié à l’activité professionnelle et en partie étranger à celle-ci ?

  • L’affaire : Une décision de la CJUE du 8 juin 2023 concernait deux emprunteurs (l’un dirigeant une société civile, l’autre serrurier) ayant contracté un prêt hypothécaire indexé sur le franc suisse. Le capital du prêt était affecté en partie à une finalité professionnelle de l’un des emprunteurs et en partie à une finalité extra-professionnelle.
  • La solution de la CJUE (CJUE, 8 juin 2023, n° C-570/21) : La Cour a précisé qu’une personne physique qui conclut un contrat portant sur un bien ou un service destiné à un usage se rapportant en partie à son activité professionnelle, et n’étant donc qu’en partie seulement étranger à cette activité, pourrait être qualifiée de « consommateur » et bénéficier de la protection de la directive, si la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat.
  • Critères d’appréciation pour le juge national : Pour déterminer si l’usage professionnel n’est pas prédominant, la juridiction de renvoi doit prendre en considération toutes les circonstances pertinentes, tant quantitatives que qualitatives. Cela inclut notamment la répartition du capital emprunté entre les usages, la pluralité d’emprunteurs (si un seul a une finalité professionnelle), ou si le prêteur a subordonné l’octroi d’un crédit de consommation à une affectation partielle au remboursement de dettes professionnelles. La CJUE a souligné qu’une interprétation large de la notion de consommateur est nécessaire pour assurer la protection des personnes en situation d’infériorité. Elle a aussi précisé que sa jurisprudence antérieure (CJCE, 20 janv. 2005, n° C‑464/01) qui exigeait un usage professionnel « marginal au point d’avoir un rôle négligeable » pour l’application de règles de compétence, ne peut être étendue à la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives, compte tenu de l’objectif de protection de cette dernière.
  • Observation : Les appréciations concrètes sur la prédominance de l’usage professionnel seront sans aucun doute difficiles à effectuer par les juges nationaux.

3. L’exclusion de la qualité de consommateur pour un professionnel agissant comme caution

Il est important de rappeler les situations où la qualité de consommateur est exclue, même si la personne est une personne physique.

  • L’affaire : Un gérant de société s’était porté caution personnelle pour garantir un prêt contracté par sa société pour l’acquisition de matériel et avait adhéré à un contrat d’assurance groupe lié à ce prêt. Placé en arrêt de travail, il a ensuite contesté des clauses du contrat d’assurance, arguant sa qualité de non-professionnel au moment de l’adhésion.
  • La solution de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 déc. 2022, n° 20-21968, M. [P] et Sté B. c/ Stés Axa France vie, Crédit Lyonnais, Intrum Justitia, Debt Finance AG, F-D (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 17 sept. 2020)) : La Cour a rejeté le pourvoi, confirmant que l’adhérent n’avait pas la qualité de consommateur car le contrat d’assurance présentait un lien direct avec son activité professionnelle, en raison de l’engagement de caution souscrit pour garantir le prêt de sa société. L’acte principal (le cautionnement souscrit par le dirigeant) revêt un caractère commercial en raison d’un intérêt patrimonial personnel dans l’opération garantie, rendant illogique de qualifier l’acte accessoire (l’assurance) de contrat de consommation.
  • Principe général : Un professionnel ne peut, en aucun cas, bénéficier de la législation protectrice des consommateurs contre les clauses abusives. Si un contrat est conclu à des fins professionnelles, les dispositions relatives aux clauses abusives ne lui sont pas applicables. Ceci s’applique même si le cocontractant est le dirigeant d’une société qui utilise le local loué pour y entreposer des biens nécessaires à son activité professionnelle.

En conclusion

La notion de consommateur reste un pilier central du droit de la consommation, dont la portée continue d’être précisée par la jurisprudence. La CJUE privilégie une interprétation large et fonctionnelle, visant à protéger les particuliers lorsqu’ils se trouvent en situation d’infériorité face aux professionnels, même si une part de profit (pour un unique bien locatif) ou une part d’usage professionnel (si non-prédominant) est présente.

Toutefois, il est impératif que le lien avec l’activité professionnelle ne soit pas direct et prédominant, comme l’illustre le cas de la caution d’un prêt d’entreprise. Pour les juges nationaux, la clé réside dans une analyse approfondie de toutes les circonstances concrètes du contrat, afin de déterminer la finalité réelle de l’engagement.

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Foire Aux Questions (FAQ) sur la notion de consommateur et les clauses abusives

Voici les réponses aux questions fréquentes concernant la qualité de consommateur face aux clauses abusives, notamment en droit bancaire :

1. Qui est considéré comme un consommateur face aux clauses abusives ?

Est qualifiée de consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle. Cette notion est déterminée par un critère fonctionnel et objectif, prenant en compte la situation d’infériorité du consommateur par rapport au professionnel. En France, la réglementation des clauses abusives s’applique aux contrats entre professionnels et consommateurs, et est même étendue aux non-professionnels.

2. Un particulier qui contracte un prêt pour un investissement locatif est-il un consommateur ?

Oui, selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), une personne physique qui conclut un contrat de crédit hypothécaire pour financer l’achat d’un seul bien immobilier résidentiel destiné à être loué à titre onéreux (un « buy-to-let ») relève de la notion de consommateur. Le simple fait de chercher à tirer des revenus de la gestion de ce bien ne conduit pas, en soi, à exclure cette personne de la qualification de consommateur. Il appartient au juge national d’établir si la personne a agi à des fins étrangères à son activité professionnelle.

3. Peut-on être consommateur avec un contrat de prêt à usage mixte (professionnel et personnel) ?

Oui, une personne physique peut être qualifiée de consommateur pour un contrat portant sur un bien ou un service à usage mixte, si la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global du contrat. La CJUE a précisé que le juge national doit prendre en considération toutes les circonstances pertinentes, tant quantitatives (ex: répartition du capital emprunté) que qualitatives (ex: pluralité d’emprunteurs), pour apprécier cette prédominance. Cette interprétation large vise à assurer la protection des personnes en situation d’infériorité.

4. Un professionnel agissant comme caution pour sa société bénéficie-t-il de la protection des clauses abusives ?

Non, un professionnel ne peut en aucun cas bénéficier de la législation protectrice des consommateurs contre les clauses abusives. Si un contrat est conclu à des fins professionnelles, les dispositions relatives aux clauses abusives ne lui sont pas applicables. Par exemple, si un gérant de société se porte caution personnelle pour garantir un prêt de sa société, l’acte (y compris un contrat d’assurance groupe lié à ce prêt) est considéré comme ayant un lien direct avec son activité professionnelle, lui retirant la qualité de consommateur, même si la société n’était pas encore constituée au moment de l’adhésion.

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