Cass. 1re civ., 29 mai 2024, n° 23-12904
Cass. 1re civ., 4 avril 2024, n° 21-12274
Cass. 2e civ., 3 oct. 2024, F-B, n° 21-25.823
Introduction
Dans le cadre des contrats de crédit immobilier, la clause de déchéance du terme constitue un outil puissant pour les établissements bancaires. Toutefois, son utilisation est strictement encadrée par la jurisprudence, notamment en matière de protection des emprunteurs contre des clauses abusives. Cet article explore les derniers développements jurisprudentiels concernant la validité de ces clauses, en s’appuyant sur des décisions récentes, tout en offrant une analyse pratique des conséquences pour les professionnels du secteur bancaire.
1. Une clause souvent controversée : rappel des principes juridiques
La clause de déchéance du terme permet au créancier de rendre immédiatement exigible l’ensemble des sommes dues par l’emprunteur en cas de défaut de paiement. Cependant, sa validité est conditionnée par le respect de plusieurs critères établis par la jurisprudence. Ces critères ont été formulés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’arrêt Banco Primus du 26 janvier 2017 (n° C-421/14) et ont été renforcés par des décisions nationales.
La CJUE a énoncé quatre éléments-clés pour évaluer le caractère abusif de ces clauses :
- L’obligation inexécutée présente-t-elle un caractère essentiel dans le rapport contractuel ?
- L’inexécution est-elle suffisamment grave, compte tenu de la durée et du montant du prêt ?
- La clause déroge-t-elle aux règles de droit commun ?
- Existe-t-il des moyens juridiques efficaces permettant à l’emprunteur de remédier aux effets de cette clause ?
Ces critères ne sont ni cumulatifs ni alternatifs ; ils doivent faire l’objet d’une évaluation globale (également confirmé par la CJUE dans un arrêt du 8 décembre 2022, n° C-600/21).
2. Les délais de préavis : une question cruciale
Une des principales controverses concerne la durée du préavis stipulé dans la clause. Dans un arrêt du 29 mai 2024 (Cass. 1re civ., 29 mai 2024, no 23-12904, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Lorraine), la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’un délai de 15 jours était déraisonnable et donc abusif. Cette décision s’inscrit dans la ligne d’un arrêt précédent du 22 mars 2023 (Cass. 1re civ., 22 mars 2023, 21-16.044, Publié au bulletin), où un préavis de huit jours avait également été déclaré insuffisant. À l’instar de l’arrêt rendu le 22 mars 2023, il s’agit ici d’une cassation pour violation de la loi, et non pour défaut de base légale. Le message de la haute juridiction est donc sans équivoque : un préavis de 15 jours ne peut être considéré comme raisonnable.
En l’espèce, les conditions générales du prêt stipulaient sous l’intitulé « exigibilité » qu’en cas notamment de défaillance dans le remboursement des sommes dues par l’emprunteur, le prêteur pourra se prévaloir de l’exigibilité immédiate du prêt en capital, intérêts et accessoire sans qu’il soit besoin d’aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours.
La Cour a estimé que ces délais courts créaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en violation de l’article L. 212-1 du Code de la consommation. Elle a précisé que la clause devait être considérée comme non écrite, une position renforcée par l’avis de nombreux commentateurs (notamment N. Mathey dans RD bancaire et financière, 2024, comm. 87).
Cette solution se justifie dans le cadre d’un crédit immobilier, généralement remboursé sur des durées longues de 10, 20 ou même 30 ans. Cependant, elle engendre des conséquences significatives pour les établissements de crédit puisque jusqu’à récemment, la pratique courante consistait à prévoir des délais de préavis très courts, souvent de 8 ou 15 jours.
En conséquence, une grande majorité des clauses de déchéance du terme figurant dans les contrats de crédits immobiliers pourraient désormais être déclarées abusives. Cette rigueur est accentuée par le fait que la clause ne peut être « corrigée » a posteriori en accordant à l’emprunteur un délai plus long, par exemple lors de la mise en demeure ou avant le prononcé de la déchéance du terme, comme c’était le cas dans cette affaire.
La CJUE a en effet précisé que le caractère abusif d’une clause doit être évalué en fonction de sa rédaction initiale, et non de la manière dont elle est appliquée (CJUE,26janv.2017, n°C-421/14, BancoPrimus, §73 à 75. V., dans le même sens, CA Rennes, 2e ch., 23 juin 2023, n° 20/05045 – TJ Paris, 11 janv. 2024, n° 23/00185 – contra CA Montpellier, 4e ch. civ., 8 juin 2023, n° 20/01597).
Cette approche respecte ainsi la distinction entre la formation du contrat, qui relève du droit des clauses abusives, et son exécution.
Reste alors une question cruciale : quel délai peut être considéré comme raisonnable ? L’arrêt de la CJUE du 8 décembre 2022 (CJUE, 8 déc. 2022, n° C-600/21) semble apporter une réponse, renforçant la sécurité juridique : « Un retard de plus de 30 jours dans le paiement d’une échéance de prêt peut, en principe, au regard de la durée et du montant du prêt, constituer à lui seul une inexécution suffisamment grave du contrat de prêt ». Ainsi, un préavis d’au moins 30 jours pourrait réduire significativement le risque d’annulation de la clause.
3. Le formalisme de la mise en demeure : un autre terrain de vigilance
Le caractère suffisant de la mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme a été rappelé dans un arrêt du 4 avril 2024 (Cass. 1re civ., 4 avr. 2024, no 21-12274).
Dans cette affaire, la lettre de mise en demeure préalable se contentait d’enjoindre les emprunteurs de payer dans un délai de trente jours des échéances échues sous peine de transmission au service contentieux et d’engagement de poursuites judiciaires, sans toutefois indiquer que le prêteur mettrait en œuvre la clause de déchéance du terme du prêt en cas de défaut de paiement des échéances échues dans le délai de trente jours.
Or, selon la Cour de cassation, la mise en demeure doit indiquer de manière claire et non équivoque que la clause sera mise en œuvre en cas de défaut de régularisation. En l’absence de cette mention, la mise en demeure est invalide, comme dans cette affaire où la banque n’avait mentionné que des poursuites judiciaires et non la déchéance du terme.
Cette exigence formelle repose sur l’article 1344 du Code civil, qui prévoit qu’une mise en demeure doit constituer une « interpellation suffisante », et sur l’article 1225 concernant les clauses résolutoires. Ce formalisme vise à encourager une exécution volontaire des obligations contractuelles.
4. Conséquences pour les emprunteurs
Les décisions récentes offrent une protection renforcée aux emprunteurs face à des clauses potentiellement abusives. En invalidant des clauses prévoyant des délais de préavis trop courts, la jurisprudence garantit que les emprunteurs disposent d’un temps raisonnable pour régulariser leur situation financière. Cette approche limite les risques d’une aggravation brutale de leur situation, comme une déchéance du terme précipitée qui pourrait entraîner des conséquences graves, telles que des saisies immobilières.
Par ailleurs, les emprunteurs peuvent se prévaloir des exigences formelles imposées aux banques, notamment en matière de mise en demeure. Une mise en demeure non conforme peut constituer un moyen de défense efficace pour contester la validité de la déchéance du terme et préserver leurs droits.
Si la clause est considérée comme abusive et réputée non écrite, la porte de l’exigibilité immédiate des sommes restant dues se ferme pour la banque (Civ. 2e, 3 oct. 2024, F-B, n° 21-25.823). Cela peut, par exemple, permettre de paralyser une procédure de saisie immobilière, la totalité des sommes invoquées par la Banque n’étant plus exigibles.
La banque sera alors contrainte d’attendre chaque échéance avant de pouvoir intervenir. Plus encore, elle devra probablement patienter jusqu’à ce qu’un certain nombre d’impayés soient cumulés pour justifier une action efficace, telle qu’une saisie immobilière, en tenant compte de la valeur du bien par rapport au montant individuel des mensualités. En définitive, le contrat devra donc être exécuté jusqu’à son terme suspensif final, sans possibilité d’en accélérer l’issue.
5. Recommandations pour les emprunteurs
Lorsqu’ils sont confrontés à une situation d’impayé et de déchéance du terme risquant d’entraîner la saisie de leur bien immobilier, les emprunteurs devraient :
- Lire attentivement les termes de leur contrat de crédit immobilier, notamment les clauses relatives à la déchéance du terme ;
- Veiller à ce que toute mise en demeure reçue respecte les exigences légales et jurisprudentielles, notamment les délais de mise en demeure et la mention explicite de la sanction envisagée ;
- Consulter un avocat en droit bancaire pour examiner la validité des procédures invoquées par leur banque, ce qui pourra, dans certains cas, permettre d’éviter une saisie immobilière.