GAP et GAPD / la garantie à première demande : reine des garanties pour les cessions d’entreprises ?

Droit bancaire

Lorsqu’il s’agit de la cession d’une entreprise, garantir les actifs et les passifs revêt une importance cruciale pour sécuriser l’investissement de l’acquéreur. Dans ce cadre, diverses formes de garanties peuvent être mises en place pour protéger les parties impliquées et minimiser les risques financiers potentiels. Parmi celles-ci, la garantie à première demande (GAPD) se distingue par son efficacité et son caractère autonome.

Ce mécanisme juridique, souvent qualifié de « reine des garanties », joue un rôle essentiel en offrant une sécurité renforcée grâce à sa capacité à assurer un recouvrement rapide et sans contestation des montants couverts.

La « reine des garanties »

Dans le contexte d’une cession d’entreprise, il est courant que l’acquéreur demande la mise en place d’une garantie d’actif et de passif (la « GAP »), destinée à protéger son investissement en le préservant de tout passif supplémentaire ou diminution d’actifs après la transaction.

Pour assurer un recouvrement rapide des montants couverts par cette garantie, l’acquéreur peut également exiger la constitution d’une garantie à première demande (« GAPD »).

La garantie autonome, définie à l’article 2321 du code civil depuis l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, est « l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues », étant précisé que « Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l’obligation garantie ».

Deux caractéristiques essentielles permettent de qualifier la garantie à première demande :

– d’une part, l’inopposabilité des exceptions (art. 2321 du code civil, al. 3). L’évaluation de ce critère est simple quand l’acte précise clairement que le garant ne peut invoquer aucune circonstance liée au contrat principal. Cependant, la simple mention « à première demande » n’indique pas clairement l’inapplicabilité des exceptions. En cas d’incertitude, selon l’article 1190 du code civil, le contrat sera interprété « contre le créancier et en faveur du débiteur » ;

– d’autre part, l’autonomie de l’objet de la garantie. La question essentielle est de savoir si l’engagement de payer concerne « une somme » ou « toute somme » et non pas ce que le débiteur doit. Cependant, dès qu’il s’agit de payer des « sommes dues » ou des « sommes restant dues » par le débiteur, la garantie perd son autonomie (Com. 13 décembre 1994, 92-12.626). Toutefois, la simple mention du contrat de base n’a pas d’incidence tant que le montant et les modalités de la garantie sont indépendants (Com. 30 janvier 2001, 98-22.060).

En raison de ces caractéristiques et de son efficacité, elle est souvent considérée comme « la reine des garanties » car le banquier ne peut opposer aucune exception tirée de l’exécution du contrat principal, le bénéficiaire de la GAPD n’ayant, en théorie, qu’à notifier au garant la mise en œuvre de sa garantie pour en obtenir le paiement.

Cependant, la réalisation de la garantie à première demande doit suivre un formalisme strict, et un manque de précaution de la part du bénéficiaire peut parfois s’avérer très coûteux pour lui.

Un formalisme strict : rigueur et précision exigées

Compte tenu de l’autonomie de la garantie à première demande, contrepartie de son efficacité redoutable, la jurisprudence de la Cour de cassation s’est toujours montrée très stricte sur le plan du formalisme exigé et stipulé par les parties. Ainsi la Cour de cassation estime que l’appel de la garantie est irrégulier :

  • lorsque, malgré son obligation, le bénéficiaire ne transmet pas à la banque garante une copie de la notification écrite adressée au donneur d’ordre (Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 mars 2011, 09-71.690, Inédit) ;
  • lorsque le bénéficiaire ne précise pas en quoi le donneur d’ordre manque à ses obligations (Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 mars 2010, 09-12.701, Publié au bulletin) ;
  • ou encore lorsque le bénéficiaire ne justifie pas du respect strict des exigences de forme et de rédaction de l’appel en garantie (Cass. com., 10 févr. 2015, n° 12-26.580, Bull. 2015, IV, n° 18) ;
  • lorsque l’appel de la garantie été formulé en référence à l’inexécution d’un autre contrat que celui visé dans la lettre de garantie bancaire à première demande (Cass. com., 18 avr. 2000, n° 97-10.160).

Une illustration des erreurs à éviter

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, le 30 mai 2024, nous offre une illustration intéressante des erreurs à éviter dans le cadre d’une cession de parts sociales assortie d’une garantie d’actif et de passif (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 9, 30 mai 2024, n° 23/04575).

Les faits à l’origine de l’affaire étaient les suivants :

Le 18 décembre 2019, les vendeurs cèdent à la société Belvedia les actions qu’ils détenaient dans la société JSP Finances, spécialisée dans le travail temporaire. Le paiement de la cession devait s’effectuer en partie par virement et le reste par plusieurs échéances, dont seule la première a été réglée par Belvedia.

Les parties avaient convenu d’une clause d’ajustement du prix de cession (en fonction du montant des capitaux propres). En outre, les vendeurs avaient fourni à l’acheteur une garantie d’actif et de passif, partiellement couverte par une garantie bancaire émise par la CEIDF (Caisse d’Épargne Île-de-France).

Or, en 2020, à la suite de l’arrêté des comptes de l’exercice 2019, il avait été révélé une aggravation du passif sous la gestion des cédants.

En réaction, Belvedia avait cessé de payer les échéances restantes dès février 2020, informant les cédants d’un trop-perçu important (de plus de deux millions d’euros), avant de les assigner devant le tribunal judiciaire en novembre 2020 pour obtenir réparation.

Belvedia avait également appelé la garantie à première demande et la banque (CEIDF) s’était exécutée, pour ensuite actionner la contre-garantie consentie par les cédants.

Les cédants ont alors fait assigner Belvedia et la banque (CEIDF) aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire à leur payer la somme appelée au titre de la garantie bancaire à première demande. Le tribunal de commerce de Paris avait fait droit à leur demande. La société Belvedia avait alors interjeté appel de la décision.

L’argumentation des cédants pour mettre en échec la mise en œuvre de la GAPD

L’argumentation portait essentiellement sur deux axes :

  • le premier argument reposait sur le non-respect des modalités d’exécution stipulées par la GAPD qui prévoyaient que  » Pour être recevable, tout appel par le Bénéficiaire de la présente garantie, en une ou plusieurs fois, dans la limite du montant ci-dessus défini, devra se faire sur présentation d’une demande écrite de paiement émanant de sa part, par lettre recommandée avec avis de réception, exclusivement adressé à la Caisse d’Épargne Île-de-France, mentionnant expressément le montant réclamé, et à laquelle devra être jointe la mise en demeure, restée sans effet, adressée au Garant par le Bénéficiaire dans les termes et conditions de la convention ci-dessus mentionnée « .

Or, les cédants invoquaient le fait que l’appel de la garantie n’avait pas été accompagné d’une copie de la mise en demeure adressée par la société Belvedia (en sa qualité de bénéficiaire) aux garants.

En appel, les juges ont accueilli cette argumentation en considérant que « l’efficacité de l’appel en garantie est subordonnée au strict respect des prévisions contractuelles, y compris de forme, ce respect étant la contrepartie du caractère autonome de la garantie » et qu’en l’espèce « la société X… n’a jamais adressé à Y… la copie d’une mise en demeure adressée aux époux Z…. visant la mise en jeu de la garantie d’actif et de passif. Force est ainsi de constater que les modalités contractuelles d’appel de la garantie bancaire à première demande n’ont pas été respectées ».

  • le deuxième argument portait sur le caractère abusif de l’appel de la garantie, eu égard au fait que la garantie bancaire à première demande avait été appelée par Belvedia au titre d’un autre contrat (la clause d’ajustement de prix) que celui qui était visé dans ladite garantie (la garantie d’actif et de passif).

Une fois de plus, la Cour d’appel fait droit à cette demande en rappelant que «  L’autonomie de la garantie ne concerne donc pas les modalités de l’appel en garantie.

Ainsi, l’appel en garantie suppose uniquement de caractériser la défaillance du débiteur, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si le défaut d’exécution du débiteur est fondé.

Par ailleurs, est considéré comme manifestement frauduleux ou abusif l’appel en garantie si la garantie a été appelée au titre d’un autre contrat ou d’un autre objet que celui visé dans la lettre de garantie. En effet, la garantie à première demande a pour finalité de garantir l’exécution par le débiteur principal d’une obligation déterminée au profit du bénéficiaire de la garantie, de sorte qu’elle ne saurait être mise en œuvre en cas d’inexécution de toute autre obligation du débiteur que celle expressément spécifiée ».

Cet arrêt offre une illustration intéressante du fait que, bien que la garantie bancaire à première demande soit considérée comme la « reine des garanties » en matière de cession d’entreprises, elle présente certains écueils dans sa mise en œuvre, que l’acquéreur et le cédant doivent connaître pour, selon le cas, sécuriser ou contester un appel de la garantie irrégulier ou abusif.

CA Paris, pôle 5 ch. 9, 30 mai 2024, n° 23/04575

Mikaël Le Bot - Avocat Expert en Droit Bancaire à Paris