Crédit à la consommation et saisie-attribution : quand la preuve de la cession de créance est insuffisante – JEX Créteil, 24 octobre 2025, RG 25/06121

Le 24 octobre 2025, le Juge de l’exécution (JEX) du Tribunal judiciaire de Créteil a rendu un jugement illustrant parfaitement un moyen de défense qui peut être utilement soutenu en matière de contestation d’une saisie-attribution pratiquée par une société de financement de créances. Ce jugement met en lumière les exigences strictes imposées aux cessionnaires de créances pour justifier de leur qualité à agir.

Le Contexte : une saisie pratiquée vingt ans après le jugement

L’affaire opposait un particulier, Madame X, à la société INTRUM JUSTITIA DEBT FINANCE AG (ci-après INTRUM), société suisse, venant aux droits de la société FRANFINANCE.

La saisie-attribution litigieuse a été pratiquée le 8 août 2025 et dénoncée au débiteur le 14 août 2025.

Le particulier a assigné INTRUM devant le Juge de l’exécution le 2 septembre 2025. Ses demandes étaient multiples :

  • À titre principal : Elle demandait l’annulation et la mainlevée de la saisie-attribution. Elle sollicitait également l’annulation de la signification faite en 2006 d’un jugement réputé contradictoire rendu par le tribunal d’instance de Boissy Saint Léger le 16 juin 2006, et de déclarer ledit jugement non avenu.
  • À titre subsidiaire : Elle sollicitait un délai de paiement de deux ans, par le versement de 24 mensualités de 100 euros.

Les arguments soulevés : qualité à agir et validité de la signification

La demanderesse a fondé sa contestation sur deux axes majeurs :

  1. Défaut de Qualité à Agir (Article 31 du CPC) : Elle a contesté la qualité d’INTRUM à agir, soulignant que la société n’avait produit qu’une « simple feuille ni tamponnée ni datée » qui n’établissait pas le lien avec la créance prétendument acquise. Elle a noté une incohérence entre le montant figurant sur cette feuille (3 942,10 euros) et celui du titre exécutoire.
  2. Irrégularité de la Signification du Jugement de 2006 : Elle a argué que la signification du jugement de 2006 (réputé contradictoire) avait été faite à une adresse qui n’était plus la sienne. Selon elle, le commissaire de justice n’aurait pas opéré toutes les vérifications précises et circonstanciées requises (visant les articles 473, 478, 659 et 693 du code de procédure civile).

De son côté, la société INTRUM a demandé au juge de débouter Madame X de l’ensemble de ses demandes. Elle a exposé que la créance lui avait été régulièrement cédée et que l’extrait de l’annexe au bordereau de cession de créances précisait le numéro du contrat et le montant de l’impayé. Concernant la signification du jugement de 2006, INTRUM a affirmé qu’elle avait été faite à étude selon l’article 655 du code de procédure civile, dans les six mois, l’huissier ayant confirmé le domicile par la boîte aux lettres et le voisinage.

La décision du juge : recevabilité et nullité de la saisie

Le Juge de l’exécution a analysé les points de droit suivants :

1. Sur la recevabilité de la contestation

Conformément à l’article R. 211-11 du code des procédures civiles d’exécution, la contestation doit être formée dans le délai d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie, et dénoncée à l’huissier instrumentaire par lettre recommandée le même jour ou au plus tard le premier jour ouvrable suivant.

  • La saisie a été dénoncée le 14 août 2025, fixant l’expiration du délai au 15 septembre 2025.
  • Madame [identité non précisée] a contesté par assignation datée du 2 septembre 2025.
  • Elle a produit la preuve du dépôt à la Poste le même jour d’une lettre de dénonciation adressée à l’huissier.

Conclusion : La contestation a été déclarée recevable.

2. Sur la mainlevée de la saisie-attribution : l’insuffisance de la preuve

Le juge s’est ensuite penché sur la validité de la saisie, notamment la question de l’opposabilité de la cession de créance. Pour qu’une cession de créance soit opposable au débiteur, elle doit être notifiée ou le débiteur doit en avoir pris acte, et elle doit permettre d’identifier les créances cédées.

Le titre exécutoire initial (jugement du 16 juin 2006) condamnait Madame X à payer à FRANFINANCE 3 133,81 euros (plus intérêts et article 700). INTRUM se prévalait d’un bordereau de cession de créance du 17 mars 2017 portant sur 47 095 créances cédées par FRANFINANCE.

Cependant, le juge a relevé des insuffisances cruciales dans la preuve fournie par INTRUM :

  1. La « feuille » présentée par INTRUM comme bordereau de créance était sans titre, non datée et non signée.
  2. Surtout, la référence reproduite sur cette feuille n’apparaissait pas sur le titre exécutoire de 2006.
  3. INTRUM n’a pas versé aux débats le contrat ayant fait naître la créance.

En conséquence, le Tribunal a jugé que la société INTRUM JUSTITIA DEBT FINANCE AG ne justifiait pas que la créance transmise lors de la cession de 2017 était bien celle résultant du jugement de 2006.

Le Juge a ainsi prononcé la nullité de la saisie-attribution du 8 août 2025 et en a ordonné la mainlevée. Les autres demandes de la débitrice, notamment celle portant sur la signification du jugement, sont devenues sans objet après l’annulation de la saisie.

Sanctions et condamnation

La société INTRUM JUSTITIA DEBT FINANCE AG, ayant succombé majoritairement dans cette instance, a été condamnée à verser à Madame X la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Leçon à Retenir :

Ce jugement rappelle aux sociétés de recouvrement et de cession de créances l’impératif de fournir des preuves certaines et circonstanciées établissant le lien direct entre l’acte de cession (bordereau) et le titre exécutoire (jugement). L’incapacité à lier clairement la référence de la créance cédée à la créance constatée dans le titre exécutoire est un motif de nullité de la mesure d’exécution.

Dans le domaine du recouvrement de créances, la validité de la cession est la clé de voûte de toute procédure d’exécution. Si cette clé est défectueuse, comme ici où le lien d’identité entre les documents n’a pu être établi, toute la structure de la saisie s’effondre. INTRUM n’a pas pu prouver que la créance qu’elle cherchait à recouvrer par la saisie était effectivement celle qu’elle avait légalement acquise.

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RGPD :

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