Le droit de la consommation confère aux emprunteurs un droit fondamental : celui de se rétracter après la signature d’une offre de crédit. Mais comment prouver que ce droit a été effectivement mis à la disposition du consommateur ? La question de la preuve de la remise du bordereau de rétractation est au cœur des débats judiciaires, avec des conséquences financières significatives pour les prêteurs.
Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679
1. Le cadre légal du droit de rétractation en crédit à la consommation
Le Code de la consommation est clair :
- L’emprunteur dispose d’un délai de quatorze jours calendaires révolus pour se rétracter, et ce, sans avoir à fournir de motifs. Ce délai court à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit, à condition que cette offre comprenne les informations prévues à l’article L. 312-28 du Code de la consommation [Article L312-19 du code de la consommation].
- Afin de permettre l’exercice effectif de ce droit de rétractation, l’article L. 312-21 du Code de la consommation impose qu’un formulaire détachable soit joint à l’exemplaire du contrat de crédit remis à l’emprunteur [Article L312-21 du code de la consommation].
Quelle est la sanction en cas de non-respect de cette obligation ? La sanction est sévère pour le prêteur : la déchéance du droit aux intérêts [CA Toulouse, 23 juil. 2024, n° 23/01097 ; Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679 ]. Cela signifie que l’emprunteur ne sera tenu de rembourser que le capital emprunté, sans les intérêts conventionnels.
2. La preuve de la remise : une obligation stricte et précise pour le prêteur
C’est au prêteur qu’il incombe de prouver qu’il a bien respecté ses obligations précontractuelles, notamment la remise de ce fameux bordereau de rétractation [CA Toulouse, 23 juil. 2024, n° 23/01097 ; Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971, 77 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679]. La jurisprudence, sous l’influence de la Cour de justice de l’Union européenne, a progressivement durci sa position sur ce point.
L’évolution de la jurisprudence : du simple indice à l’exigence de preuves indépendantes
- L’arrêt fondateur de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : Par un arrêt du 18 décembre 2014 (CJUE, 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C-449/13), la CJUE a jugé qu’une clause type figurant dans un contrat de crédit, par laquelle le consommateur reconnaîtrait la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles par le prêteur, serait contraire à la directive européenne. Une telle clause entraînerait en effet un renversement de la charge de la preuve, compromettant l’effectivité des droits du consommateur. La CJUE a précisé que cette clause ne constitue qu’un « indice » que le prêteur doit « corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents » [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971].
- La confirmation par la Cour de cassation en 2020 : Reprenant la ligne de la CJUE, la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 octobre 2020 (Civ. 1ère, 21 octobre 2020, n° 19-18.971, publié au bulletin), a clairement établi que la signature par l’emprunteur de l’offre préalable, comportant une clause selon laquelle il reconnaît la remise du bordereau de rétractation, constitue seulement un indice. Cet indice doit être corroboré par un ou plusieurs éléments complémentaires [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971]. Il ne suffit donc pas que l’emprunteur ait signé une case attestant de la remise ; le prêteur doit apporter des éléments supplémentaires.
- La clarification majeure de la Cour de cassation en 2025 : L’arrêt le plus récent et le plus précis sur cette question est celui de la Cour de cassation, 1ère chambre civile, du 28 mai 2025 (n° 24-14.679, publié au bulletin). Cette décision va plus loin en spécifiant la nature des « éléments complémentaires« . La Cour a jugé que « un document émanant de la seule banque ne peut utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt« [Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
- Concrètement, cela signifie que la production par le prêteur de son propre dossier de financement, même s’il inclut une copie du bordereau de rétractation et une attestation de remise signée par l’emprunteur, ne suffit plus à elle seule. Ce type de document, émanant uniquement de la banque, n’est pas considéré comme une preuve corroborante indépendante.
3. Implications pratiques : ce que les emprunteurs peuvent faire valoir
Avant l’arrêt de 2025, certaines cours d’appel avaient une interprétation plus souple des « éléments complémentaires » :
- La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 23 juillet 2024 (2ème chambre, n° 23/01097), a infirmé un jugement de première instance qui avait prononcé la déchéance du droit aux intérêts. La cour a considéré que la SA Cofidis avait justifié du respect de son obligation en produisant une offre préalable signée comportant une clause de reconnaissance de remise, corroborée par la « copie informatique de la liasse adressée au client le 5 novembre 2019 qui comprend 25 pages qui se suivent, portant les références du contrat, dans laquelle est insérée, page 21 un bordereau de rétractation conforme » [CA Toulouse, 23 juil. 2024, n° 23/01097]. Cette décision de 2024, bien que postérieure à l’arrêt de cassation de 2020, pourrait être remise en question à la lumière de l’arrêt de 2025 qui invalide les documents émanant uniquement de la banque comme preuve complémentaire.
- De même, la Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 28 mars 2023 (1ère chambre 2e section, n° 21/07487), a estimé que la production par la société Créatis du dossier de financement adressé à l’emprunteuse, comprenant la liasse contractuelle avec le bordereau de rétractation en page 28 sur 40, et la signature de l’emprunteur reconnaissant en être en possession, suffisait à rapporter la preuve de l’exécution de l’obligation [CA Versailles, 28 mars 2023, n° 21/07487]. Là encore, cette décision est antérieure à la clarification apportée par la Cour de cassation en 2025.
Ce que change l’arrêt de mai 2025 [Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679] : Désormais, pour le prêteur, la tâche de prouver la remise du bordereau de rétractation est rendue plus difficile. Il ne pourra plus se contenter de produire des copies de son propre dossier. Les « éléments complémentaires » attendus par la Cour de cassation devront être des preuves indépendantes, qui ne sont pas générées ou détenues uniquement par la banque. On pourrait penser, par exemple, à un accusé de réception signé par l’emprunteur pour un envoi postal, ou des éléments traçables d’une remise en main propre qui ne soient pas un simple document standardisé pré-rempli par la banque.
Conclusion
La jurisprudence de la Cour de cassation continue de renforcer la protection des consommateurs en matière de crédit. L’arrêt du 28 mai 2025 est un tournant important, car il oblige les prêteurs à une plus grande diligence dans la traçabilité de la remise des documents essentiels, tels que le bordereau de rétractation. Pour les emprunteurs, cette décision offre une opportunité de contester plus efficacement l’application des intérêts en cas de manquement du prêteur à cette obligation fondamentale. Il est donc crucial, pour les établissements financiers, de revoir leurs procédures de preuve, et pour les consommateurs, de connaître leurs droits.
FAQ : Votre Droit de Rétractation en Crédit à la Consommation – Ce que Vous Devez Savoir
La signature d’une offre de crédit à la consommation est un engagement important. Heureusement, la loi vous protège en vous offrant un droit de rétractation. Mais que se passe-t-il si la banque ne respecte pas ses obligations de remise du bordereau de rétractation ? Cette FAQ est conçue pour éclairer vos droits face aux prêteurs, à la lumière des récentes évolutions jurisprudentielles.
1. Qu’est-ce que le droit de rétractation en matière de crédit à la consommation ?
L’emprunteur dispose d’un délai de quatorze jours calendaires révolus pour se rétracter après avoir accepté une offre de contrat de crédit. Ce droit peut être exercé sans avoir à justifier de motifs. Ce délai de quatorze jours commence à courir à compter du jour de l’acceptation de l’offre de contrat de crédit, pourvu que cette offre contienne les informations prévues à l’article L. 312-28 du Code de la consommation.
2. Pourquoi le bordereau de rétractation est-il si important ?
Pour permettre à l’emprunteur d’exercer concrètement ce droit de rétractation de quatorze jours, la loi impose qu’un formulaire détachable soit joint à l’exemplaire du contrat de crédit remis à l’emprunteur. Ce formulaire doit être conforme au modèle type fixé réglementairement [CA Versailles, 28 mars 2023, n° 21/07487].
3. Qui doit prouver que le bordereau de rétractation a été remis ?
C’est au prêteur qu’il incombe de prouver qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles, y compris la remise effective du formulaire de rétractation [CA Toulouse, 23 juil. 2024, n° 23/01097; Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
4. Ma signature sur le contrat de prêt, reconnaissant la remise du bordereau, suffit-elle à prouver cette remise ?
Non, votre signature seule ne suffit plus [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679 ]. La Cour de cassation, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971], a clairement statué que :
- La signature par l’emprunteur de l’offre préalable, comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation, constitue seulement un indice [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971, 77, 85 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
- Cet indice doit être corroboré par un ou plusieurs éléments complémentaires [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
5. Quels types de « preuves complémentaires » sont acceptés par les tribunaux ?
C’est là que la jurisprudence a apporté une clarification majeure :
- L’arrêt le plus récent de la Cour de cassation, du 28 mai 2025 est très clair : « Un document émanant de la seule banque ne peut utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt » [Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
- Cela signifie que la simple production par la banque de son propre dossier de financement, même s’il contient une copie du bordereau ou une attestation de remise signée par vous, n’est pas suffisante pour prouver la remise effective [Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679]. La Cour d’appel d’Amiens avait été cassée pour s’être basée sur ces seuls éléments [Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
- Des décisions antérieures de cours d’appel, comme celle de la Cour d’appel de Toulouse du 23 juillet 2024 (n° 23/01097) qui avait validé la preuve de remise sur la base de l’offre signée et de la « copie informatique de la liasse adressée au client » [CA Toulouse, 23 juil. 2024, n° 23/01097], ou celle de la Cour d’appel de Versailles du 28 mars 2023 (n° 21/07487) qui avait considéré que le « dossier de financement adressé à Mme [L], comprenant la liasse contractuelle dans laquelle figure le bordereau de rétractation en page 28 sur 40 » était suffisant [CA Versailles, 28 mars 2023, n° 21/07487], pourraient désormais être remises en question au regard de l’arrêt de la Cour de cassation de 2025.
- En pratique, cela pousse les prêteurs à devoir produire des preuves indépendantes de la remise, non issues de leurs seuls documents internes (par exemple, un accusé de réception pour un envoi postal, ou des éléments de traçabilité tiers).
6. Quelle est la sanction si le prêteur ne parvient pas à prouver la remise du bordereau de rétractation ?
La sanction pour le prêteur est la déchéance du droit aux intérêts [CA Toulouse, 23 juil. 2024, n° 23/01097; Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
- Cela signifie que vous ne serez tenu de rembourser que le capital emprunté, sans les intérêts conventionnels [Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, n° 19-18.971 ; Cass. 1re civ., 28 mai 2025, n° 24-14.679].
- Les sommes déjà perçues par le prêteur au titre des intérêts devront vous être restituées ou imputées sur le capital restant dû [CA Versailles, 28 mars 2023, n° 21/07487].
7. Que dois-je faire si je pense que le prêteur n’a pas respecté ses obligations ?
Si vous avez des doutes sur la remise effective de votre bordereau de rétractation, ou si vous estimez que les informations précontractuelles étaient incomplètes :
- Conservez tous les documents liés à votre crédit (offre de prêt, contrat, courriers, etc.).
- Vérifiez attentivement votre exemplaire du contrat : contient-il bien un formulaire de rétractation détachable et conforme ?
- Si vous constatez une irrégularité ou un manquement à la remise du bordereau, vous pouvez contester la validité de la preuve apportée par le prêteur.
- Il est fortement recommandé de consulter un avocat en droit bancaire et de la consommation, comme le cabinet LE BOT AVOCAT. Il pourra analyser votre situation, examiner les pièces du prêteur et vous conseiller sur la meilleure stratégie à adopter pour faire valoir vos droits, notamment la déchéance du droit aux intérêts.