Crédit affecté et dol du vendeur : la nullité du prêt, même sans annulation du contrat principal et sans fraude directe de la banque !

Les crédits affectés, ces financements spécifiquement dédiés à l’acquisition d’un bien ou d’un service, sont par nature liés au contrat principal qu’ils financent. Mais que se passe-t-il lorsque le vendeur de ce bien ou service se livre à des manœuvres frauduleuses ? Une décision récente de la Cour de cassation, datée du 7 mai 2025, vient clarifier la position de la banque prêteuse et renforce la protection des consommateurs face au dol.

Cour de cassation, Chambre civile 1, 7 mai 2025, 23-19.064, Inédit

Le contexte de l’affaire : un garde-corps, un crédit et des manœuvres frauduleuses

L’affaire opposait des emprunteurs à la société Cofidis, venant aux droits de Sofemo. En 2014, les emprunteurs avaient souscrit un contrat pour l’achat et la pose d’un garde-corps auprès de la société Ecb, un investissement conséquent de 19 450 euros financé par un crédit affecté obtenu auprès de Sofemo.

Cependant, les emprunteurs n’ont jamais réglé les échéances du prêt, arguant de manœuvres frauduleuses (dol) de la part d’un préposé de la société Ecb. Il est crucial de noter que ce préposé a par la suite été déclaré coupable par un tribunal correctionnel de pratiques commerciales agressives, abus de faiblesse et escroquerie au préjudice des emprunteurs et de la banque elle-même.

Les emprunteurs ont alors cherché à faire annuler le contrat de crédit, se basant sur le dol.

La position de la Cour d’appel de Poitiers (4 avril 2023) : une approche restrictive

La Cour d’appel de Poitiers avait débouté les emprunteurs de leur demande de nullité du contrat de crédit pour dol. Pour la Cour d’appel, l’annulation du crédit affecté pour cause de dol était difficilement envisageable sans une action préalable sur le contrat principal de vente. Elle avait estimé que les critiques, notamment le prix prétendument excessif du garde-corps, visaient le contrat principal et non le contrat de crédit lui-même. De plus, elle considérait que le dol devait être prouvé directement en lien avec le contrat de crédit et n’avait pas retenu les allégations de fausses signatures sur la demande de crédit.

La décision de la Cour de cassation (7 mai 2025) : une protection renforcée pour le consommateur

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a cassé et annulé partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers sur ce point crucial.

La Haute Juridiction a rappelé et appliqué l’article 1116 ancien du Code civil (applicable au litige). Son raisonnement est d’une portée intéressante pour les crédits affectés :

  • Le dol n’a pas besoin de provenir directement de la banque : La Cour a clairement affirmé que le dol est une cause de nullité de la convention s’il émane du vendeur ou du prestataire par l’intermédiaire duquel un crédit affecté au financement du bien ou du service a été conclu. Le fait que le préposé du vendeur (Ecb) ait été reconnu coupable de manœuvres frauduleuses (pratiques commerciales agressives, escroquerie, abus de faiblesse) était suffisant pour caractériser le dol.
  • Indépendance de l’annulation du contrat principal : Contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation a jugé que les manœuvres dolosives de l’intermédiaire du crédit, comme le fait d’avoir proposé un garde-corps à un prix prétendument excessif, pouvaient entraîner l’annulation du contrat de crédit affecté. Et ce, même si le contrat principal (de vente) n’était pas judiciairement annulé au préalable. La Cour d’appel avait ainsi violé le texte en rejetant la demande de nullité du crédit malgré ces constatations.

Quelles Implications pour les Consommateurs et les Banques ?

Cette décision est majeure et envoie un signal fort :

  • Protection accrue des consommateurs : Elle offre une voie de recours plus directe aux consommateurs victimes de pratiques déloyales et de dol de la part des vendeurs, même lorsque la banque n’est pas directement à l’origine de la fraude. La nullité du crédit affecté devient une protection plus accessible.
  • Responsabilisation des établissements de crédit : Bien que non directement auteur du dol, la banque prêteuse est désormais exposée aux conséquences des agissements frauduleux des intermédiaires avec lesquels elle collabore pour la souscription de crédits affectés. Cela incite les banques à une vigilance accrue quant aux pratiques commerciales des vendeurs dont elles financent les activités.
  • Une approche réaliste de l’interdépendance : La Cour de cassation confirme que l’interdépendance du contrat de vente et du contrat de crédit affecté ne signifie pas que la nullité de l’un doive toujours être subordonnée à la nullité de l’autre lorsque le dol est en jeu. Le vice du consentement sur le contrat de crédit peut être établi via les agissements du vendeur.

En conclusion, cet arrêt rappelle que la banque, en tant qu’acteur clé de la chaîne contractuelle, ne peut ignorer les conditions dans lesquelles le contrat principal est conclu lorsque le crédit est directement lié et souscrit par l’intermédiaire du vendeur. C’est une victoire pour la transparence et l’éthique dans les transactions de crédit à la consommation.

FAQ : Annulation du Crédit Affecté et Dol du Vendeur

Pour vous aider à mieux comprendre les implications de la récente jurisprudence de la Cour de cassation en matière de crédit affecté et de dol, voici les réponses aux questions les plus fréquentes :

Le contrat de crédit affecté peut-il être annulé en cas de dol (fraude) du vendeur ou du prestataire ?

Oui, la Cour de cassation, dans son arrêt du 7 mai 2025, a affirmé que le dol est une cause de nullité de la convention, même s’il émane du vendeur ou du prestataire par l’intermédiaire duquel un crédit affecté a été conclu. C’est le cas lorsque des manœuvres frauduleuses, comme des pratiques commerciales agressives, l’escroquerie ou l’abus de faiblesse, ont vicié le consentement de l’emprunteur.

L’annulation du crédit affecté est-elle subordonnée à l’annulation préalable du contrat principal de vente ?

Non. Contrairement à une interprétation antérieure de la Cour d’appel de Poitiers, la récente jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt du 7 mai 2025) précise que les manœuvres dolosives de l’intermédiaire du crédit peuvent entraîner l’annulation du contrat de crédit affecté, et ce, indépendamment de l’annulation judiciaire du contrat principal d’achat du bien ou du service.

La banque prêteuse est-elle impactée par le dol commis par le vendeur dans un crédit affecté ?

Oui. Bien que la banque ne soit pas directement l’auteure du dol, la Cour de cassation a jugé que le dol est une cause de nullité du contrat de crédit affecté même s’il ne provient pas directement de la banque, mais émane du vendeur ou du prestataire ayant servi d’intermédiaire pour le crédit. Cela expose la banque aux conséquences des agissements frauduleux de ses partenaires commerciaux.

Quelles sont les implications principales de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2025 pour les consommateurs de crédit affecté ?

Cet arrêt majeur de la Cour de cassation du 7 mai 2025 renforce la protection des consommateurs victimes de pratiques frauduleuses liées aux crédits affectés. Il établit que la nullité du contrat de crédit affecté peut être prononcée pour dol du vendeur, sans que le contrat principal n’ait besoin d’être annulé et sans que la fraude ne provienne directement de la banque. C’est une avancée significative pour la transparence et l’éthique dans les transactions.

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