Les Règles Applicables au Paiement en Espèces en France

Alors que le ministre de la Justice, Monsieur Gérald Darmanin, a suggéré devant la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance financière, le jeudi 22 mai 2025, que la suppression de l’argent liquide pourrait constituer une mesure efficace pour lutter contre le narcotrafic, il apparaît intéressant de se pencher sur les règles qui encadrent d’ores et déjà les paiements en espèces en France.

Le paiement en espèces doit être accepté, sauf exceptions

Le paiement en espèces, également désigné sous les termes de « liquide » ou « numéraire », fait référence à l’utilisation de monnaie fiduciaire, c’est-à-dire les billets et pièces ayant cours légal, pour régler des dettes ou acquérir des biens et services. En droit français, bien qu’il soit en principe un mode de paiement « normal », son utilisation est strictement encadrée (art. L. 112-6 du code monétaire et financier). Cette réglementation vise à garantir la preuve des transactions, à prévenir la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi qu’à assurer la traçabilité des flux financiers.

Le principe de validité du paiement en espèces établit que le paiement en monnaie ayant cours légal doit être accepté, sauf exceptions. Un commerçant qui refuserait un paiement en espèces sans y être autorisé s’expose à une amende de 150 € (R. 642-3 du code pénal).

Cependant, il existe plusieurs cas où un paiement en espèces peut être refusé :

  • Le paiement en devises étrangères.
  • Le paiement avec des pièces ou billets en mauvais état qui pourraient être refusés par la Banque de France. Il est possible, sous conditions, d’échanger ou de se faire rembourser ces billets ou pièces auprès de la Banque de France ou dans certains bureaux de poste.
  • Le paiement avec de la fausse monnaie ; le créancier peut refuser le paiement s’il s’en rend compte.
  • Le paiement de plus de 50 pièces pour un seul règlement, à l’exception des paiements effectués auprès du Trésor public.
  • Lorsque le débiteur ne fait pas l’appoint, c’est-à-dire qu’il ne règle pas la somme exacte. Le créancier a le droit de refuser un billet ou une pièce d’une valeur supérieure à la somme due s’il ne dispose pas de suffisamment de monnaie pour rendre la différence. L’obligation de faire l’appoint incombe au débiteur.
  • Pour des raisons techniques ou de sécurité. Par exemple, certains commerçants opérant la nuit peuvent refuser les espèces par mesure de sécurité, ou les horodateurs peuvent les refuser pour se protéger contre le vandalisme.

Plafonds Légaux et Interdictions

Les paiements en espèces sont soumis à des plafonds légaux qui varient en fonction du domicile fiscal du débiteur et de la nature (professionnelle ou non) de l’opération. Ces plafonds s’appliquent notamment pour les règlements effectués à un professionnel ou entre professionnels, ainsi qu’avec des non-résidents.

Les principaux plafonds sont les suivants (article D. 112-3 du code monétaire et financier) :

  • Pour un acquéreur fiscalement domicilié en France (qu’il soit commerçant ou non), le plafond est fixé à 1 000 €.
  • Pour un acquéreur non résident commerçant, le plafond est également de 1 000 €.
  • Pour un acquéreur non résident non commerçant, le plafond est fixé à 10 000 € (au lieu de 15 000 € avant le 1ᵉʳ octobre 2018).
  • Ce plafond reste fixé à 15 000 € pour l’acquéreur non résident agissant à titre privé, lorsqu’il s’acquitte en espèces du paiement d’une dette au profit d’un professionnel assujetti aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce cas s’applique, par exemple, à l’achat d’un véhicule à usage privé par un non-résident.

Ces plafonds ne s’appliquent pas si vous n’avez pas d’autre moyen de paiement ou pas de compte bancaire. Pour tout paiement supérieur à 1 000 €, une pièce d’identité peut être demandée.

Des règles spécifiques s’appliquent également dans certains contextes :

  • Le paiement en espèces au guichet des centres des finances publiques pour régler les impôts et taxes est limité à 300 €.
  • Pour le paiement d’un salaire, le versement en espèces n’est possible que si le montant est inférieur à 1 500 € par mois. Au-delà de ce seuil, l’employeur doit payer par chèque barré ou virement bancaire. Un employeur ne respectant pas cette règle s’expose à une amende de 450 €. Ce plafond ne concerne pas l’employeur qui n’a pas d’autre moyen de paiement ou pas de compte bancaire. Le salarié peut demander à être payé en espèces si le montant est inférieur à 1 500 €, et l’employeur ne peut s’y opposer.
  • Pour le paiement d’une transaction immobilière effectuée par ou reçue par un notaire, le règlement en espèces n’est possible que si la transaction ne dépasse pas 3 000 €. Au-delà, le virement est obligatoire.
  • Pour le paiement d’un loyer par le locataire, il peut être effectué par tout moyen, y compris en espèces, à condition que le montant soit inférieur à 1 000 €. Le bailleur ne peut pas imposer le prélèvement automatique.

Il existe une exception notable aux plafonds légaux : les paiements effectués entre particuliers n’agissant pas pour des besoins professionnels ne sont pas soumis à ces limites maximales.

Le non-respect de ces plafonds entraîne des sanctions. Un paiement en espèces d’un montant supérieur aux seuils autorisés est considéré comme irrégulier au regard de la réglementation de police économique. Les contrevenants, tant le payeur que le professionnel qui a accepté le règlement, sont passibles d’une amende fiscale pouvant atteindre 5 % des sommes indûment réglées en numéraire (article L112-7 du code monétaire et financier). Il est important de noter que, bien qu’irrégulier et sanctionné, le paiement effectué au-delà des plafonds n’est pas nul pour autant au regard du droit des procédures collectives.

Preuve du Paiement en Espèces

Prouver un paiement en espèces peut s’avérer difficile, surtout en cas de litige. Il est fortement recommandé, notamment pour l’employeur ou le débiteur, d’exiger la signature d’un reçu à chaque remise d’espèces.

La preuve d’un paiement en espèces par témoins est possible pour des montants inférieurs à 1 500 €. Cependant, au-delà de ce seuil, un acte juridique portant sur une somme ou valeur excédant 1 500 € doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique, sauf exceptions prévues par le Code civil (comme l’existence d’un commencement de preuve par écrit ou un cas de force majeure).

Encadrement du Cash-Back

Le cash-back, qui permet de retirer des espèces chez un commerçant lors d’un achat par carte bancaire, est une pratique autorisée mais strictement encadrée. Pour pouvoir bénéficier de ce service, l’opération de paiement d’achat de biens ou de services doit avoir un montant minimal de 1 €. Le montant maximal d’espèces pouvant être retiré est fixé à 60 €. Ce service est réservé à l’usage non professionnel et doit être effectué à la demande expresse du consommateur lors d’un achat (article art. D. 112-6 du code monétaire et financier).

Les commerçants qui proposent le service de cash-back ont des obligations d’information claires vis-à-vis des consommateurs. Ils doivent afficher ou indiquer sur leur site internet:

  • La liste des instruments de paiement acceptés ou refusés.
  • Le montant minimal de l’opération de paiement d’achat.
  • Le montant maximal d’espèces pouvant être retiré.
  • L’indication du caractère gratuit ou payant du service et, le cas échéant, les frais appliqués toutes taxes comprises.

Le non-respect de cet encadrement par les commerçants peut entraîner une amende de 1 500 €, voire 3 000 € en cas de récidive (article R. 112-7 code monétaire et financier).

Obligations de Déclaration et de Contrôle

Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), des obligations de déclaration et de vigilance s’imposent à certains acteurs.

Les établissements de crédit et assimilés doivent déclarer auprès de Tracfin toute opération de transmission de fonds initiée par un versement en espèces ou au moyen de monnaie électronique dès lors qu’elle dépasse 1 000 € par opération ou atteint 2 000 € en cumulé par client sur un mois civil.

Certains professionnels, comme les commerçants en métaux précieux, antiquités et œuvres d’art, sont assujettis aux obligations LCB-FT lorsque la valeur d’une transaction (ou série de transactions liées) atteint ou dépasse 10 000 €. Ils sont soumis à des contrôles renforcés et à une obligation de vigilance accrue. Ils sont également tenus d’effectuer une déclaration de soupçon auprès de Tracfin si les mouvements de capitaux leur paraissent provenir d’activités illégales ou potentiellement liées au financement du terrorisme.


En conclusion, si le paiement en espèces est un mode de règlement fondamental en France, son usage est néanmoins strictement réglementé par des plafonds, des exigences de preuve, et des obligations de vigilance et de déclaration. Ces mesures visent principalement à lutter contre la fraude, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Des exceptions existent, notamment pour les paiements entre particuliers n’agissant pas à des fins professionnelles. Le non-respect de ces règles expose à des sanctions administratives et fiscales, bien que cela n’entraîne pas systématiquement la nullité du paiement. Les pratiques modernes comme le cash-back sont également intégrées à cette réglementation, sous conditions de montants limités et de transparence. Il est recommandé de toujours vérifier les règles applicables et les obligations spécifiques en fonction du contexte de chaque transaction.

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