En matière de fraude bancaire, la rapidité de réaction de la victime est souvent primordiale et elle est d’ailleurs exigée par les textes européens pour contester les opérations non autorisées auprès de la banque. Mais jusqu’où va cette exigence de rapidité ? Doit-elle s’étendre jusqu’à l’introduction d’une action en justice comme le souhaiteraient les banques, ou concerne-t-elle uniquement la notification de l’incident à votre banque ? La Cour de cassation a récemment apporté une réponse claire et très attendue, mettant fin à une incertitude jurisprudentielle préjudiciable aux consommateurs, initiée par les banques ces derniers mois devant de nombreuses juridictions.
Com. 2 juillet 2025, n° 24-16.590
Les faits : un signalement immédiat des opérations non autorisées
L’affaire qui a mené à cette clarification majeure met en lumière le parcours de M. [J] [W]. En mars 2019, son compte bancaire, détenu à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6], a été le théâtre de deux paiements non autorisés totalisant 7.314,00 euros et 3.717,00 euros, réalisés dans la nuit du 5 au 6 mars 2019. M. [W] a réagi immédiatement, formant opposition et réclamant le remboursement dès le 7 mars 2019, déclarant ne pas être à l’origine de ces paiements.
Cependant, la banque a refusé le remboursement, arguant que les opérations avaient été réalisées avec les données et autorisations personnelles de M. [W]. Face à ce refus, M. [W] a assigné la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] devant le Tribunal judiciaire de Lille le 21 décembre 2021.
La décision des juridictions du fond : une forclusion contestée
La Caisse de Crédit Mutuel a soulevé une fin de non-recevoir, invoquant la forclusion. Le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Lille, par une ordonnance du 5 mai 2023, a prononcé l’irrecevabilité de M. [J] [W] à agir. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Douai le 21 mars 2024.
Selon ces juridictions, l’action de M. [W] était forclose car l’assignation avait été délivrée plus de 13 mois après les opérations litigieuses. Elles se sont appuyées sur l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier, considérant que ce délai de forclusion spécial primait sur les dispositions générales de l’article 2224 du Code civil. La Cour d’appel a conclu que le délai de 13 mois de l’article L. 133-24 du CMF était un délai de forclusion spécial qui avait vocation à s’appliquer à l’action en justice elle-même.
Le nœud du problème : l’article L133-24 du CMF
L’article L. 133-24 du Code monétaire et financier dispose que : « L’utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion (…) ».
La divergence d’interprétation a longtemps subsisté :
- L’interprétation restrictive (celle des banques et de la Cour d’appel) : Le délai de 13 mois concernerait non seulement le signalement à la banque, mais aussi l’introduction de l’action en justice. Dépassé ce délai, toute action serait forclose. Certaines juridictions du fond, s’appuyant sur une lecture particulièrement extensive, et erronée, d’un arrêt de la CJUE du 2 septembre 2021 (aff. C-337/20), avaient adopté cette position, estimant que l’utilisateur devait engager une action judiciaire dans les 13 mois.
- L’interprétation des utilisateurs (et désormais de la Cour de cassation) : Le délai de 13 mois ne vise que l’obligation de signaler (ou de notifier/contester) l’opération non autorisée à la banque. Une fois ce signalement effectué dans les temps, l’utilisateur conserve son droit d’agir en justice, lequel est soumis au délai de prescription de droit commun de cinq ans (article 2224 du Code civil). Le texte est jugé parfaitement clair à cet égard.
La clarification de la Cour de cassation : le délai de 13 mois est un délai pour signaler et non un délai pour agir
Face à l’appel de M. [W], la Cour de cassation, dans son arrêt du 2 juillet 2025 (Com. 2 juillet 2025, n° 24-16.590), a cassé la décision de la Cour d’appel de Douai.
La plus haute juridiction a rappelé que M. [W] avait bien signalé les virements frauduleux dès le 7 mars 2019, soit largement dans le délai de treize mois suivant les opérations. Elle a ainsi jugé que la Cour d’appel avait méconnu le texte en déclarant l’action forclose.
La Cour de cassation a clairement établi que l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier impose un délai de 13 mois uniquement pour le signalement (ou la notification/contestation) de l’opération non autorisée au prestataire de services de paiement, et non pour l’introduction d’une action en justice.
Une solution logique et cohérente avec le droit européen
Cette décision met fin à des hésitations et des interprétations divergentes de la part de certaines juridictions du fond. Sur le plan juridique, elle est parfaitement logique et cohérente.
- La lettre claire du texte : l’article L. 133-24 parle de « signaler », pas d' »agir en justice ». Le juge ne peut pas réécrire la loi sous couvert d’interprétation, surtout lorsque le sens de la loi est clair, en vertu du principe interpretatio cessat in claris.
- La finalité des directives européennes (DSP1 et DSP2) : L’article L. 133-24 du CMF est issu de la transposition de la directive 2007/64/CE (DSP1), remplacée par la directive 2015/2366/UE (DSP2). Le considérant 70 de la DSP2 est explicite : « Si l’utilisateur de services de paiement respecte le délai de notification, il devrait pouvoir faire valoir ces revendications sous réserve des délais nationaux de prescription« . L’interprétation conforme du droit européen confirme qu’il s’agit bien d’un délai de signalement. La Cour de justice de l’Union européenne elle-même, dans son arrêt du 2 septembre 2021 (CRCAM, C-337/20), a rappelé que l’obligation de notification des opérations non autorisées est distincte de l’action en responsabilité et est fixée à un délai maximal de treize mois. Les banques ont parfois cité de manière tronquée cet arrêt pour faire croire que le délai de 13 mois s’appliquait à l’action en justice, alors qu’il s’agissait des conséquences du défaut de notification par l’utilisateur.
- La cohérence avec sa propre jurisprudence : La Cour de cassation a déjà affirmé l’exclusivité du régime de responsabilité du CMF (articles L. 133-18 à L. 133-24) pour les opérations non autorisées ou mal exécutées, à l’exclusion de tout autre régime. Mais cela concerne le fondement de l’action, non le délai pour agir, qui relève du droit commun. En effet, la décision du 2 juillet 2025 ne constitue pas une nouveauté. Elle s’inscrit dans le prolongement des précédentes décisions de la Cour de cassation qui rappelaient que le délai de 13 mois était un délai de signalement (Cass. com., 2 mai 2024, n° 22-18.074, Publié au bulletin ; Cour de cassation, Chambre commerciale, 8 novembre 2023, 22-14.822, Inédit ; Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289, Publié au bulletin ; Cass. com., 9 févr. 2022, n° 17-19.441, Publié au bulletin ; Cass. com., 16 juill. 2020 (décision de renvoi préjudiciel ayant donné lieu à l’arrêt CJUE C‑337/20 du 2 septembre 2021 ; Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-26.188, Bull. 2018, IV, n° 6).
Aussi, il convient de saluer cette décision pour sa clarté, sa cohérence et la sécurité juridique qu’elle apporte aux utilisateurs de services de paiement. Conformément à la directive, elle garantit aux victimes de fraudes la possibilité de faire valoir leurs droits dans un délai raisonnable (5 ans), à condition d’avoir alerté leur banque dans les 13 mois suivant le débit.
Point de vigilance : l’obligation de signaler « sans tarder »
Il est toutefois crucial de noter que l’article L. 133-24 maintient l’obligation de signaler l’opération « sans tarder« . Si ce délai de « sans tarder » n’est pas précisément défini, le dépassement du délai maximal de 13 mois est la seule cause de forclusion liée au signalement. Cependant, un signalement tardif, même dans les 13 mois, pourrait potentiellement être opposé à l’utilisateur si la banque parvient à prouver un agissement frauduleux ou une négligence grave de sa part. La charge de cette preuve incombe au prestataire de services de paiement. La Cour de cassation a d’ailleurs précédemment posé des questions préjudicielles à la CJUE sur les conséquences d’un signalement tardif mais dans les 13 mois (Cass. com. 8 novembre 2023 n° 22-14.822 F-D).
Une précision essentielle pour les professionnels
Par ailleurs, pour les professionnels, il est important de souligner une nuance apportée par l’article L. 133-24 alinéa 2 du CMF, qui n’a pas été le cœur du litige de M. [W], mais est fondamentale en droit bancaire. Si le délai de 13 mois pour le signalement est impératif et non réductible par convention pour les personnes physiques agissant pour des besoins non professionnels (les consommateurs), il en va différemment pour les autres utilisateurs, notamment les professionnels ou personnes morales agissant dans le cadre de leur activité professionnelle.
Pour ces derniers, la loi permet expressément aux parties de fixer contractuellement un autre délai, qui peut être plus court que 13 mois.
En résumé : une victoire pour les consommateurs
L’arrêt du 2 juillet 2025 de la Cour de cassation est une excellente nouvelle pour la protection des consommateurs. Il clarifie définitivement l’articulation entre le délai de signalement et le délai pour agir en justice :
- Délai de Signalement : 13 mois maximum à compter de la date de débit des opérations non autorisées. C’est une obligation impérative sous peine de forclusion.
- Délai d’Action en Justice : 5 ans à compter du signalement (ou de la connaissance de l’opération), conformément au délai de prescription de droit commun (article 2224 du Code civil).
En pratique, cela signifie que si vous êtes victime d’une opération frauduleuse, votre premier réflexe doit être de signaler l’incident à votre banque le plus rapidement possible et impérativement dans les 13 mois. Une fois cette étape franchie, vous disposez d’un délai de 5 ans pour introduire une action en justice si la situation n’est pas résolue amiablement.
Cette solution, équilibrée et conforme à l’esprit du droit européen, sécurise le régime applicable et protège efficacement l’utilisateur, tout en exigeant une vigilance quant à la surveillance de ses comptes et la célérité du signalement.
Il est regrettable que les banques aient cru juger pertinent de faire valoir une argumentation aussi spécieuse devant de si nombreuses juridictions. Malheureusement, compte tenu du volume que les fraudes bancaires représentent actuellement dans le contentieux général, il semblerait qu’elles aient pris le parti de faire feu de tout bois pour décourager les victimes d’agir, quitte à fonder leur argumentation sur des interprétations pour le moins « créatives » de certaines décisions de la CJUE. Il va sans dire que cette stratégie contentieuse, qui a rallongé les délais de très nombreuses procédures, ne contribue pas au désencombrement des juridictions…
N’hésitez pas à consulter le cabinet si vous êtes confronté à une fraude bancaire, être assisté par un avocat qui connaît parfaitement le droit bancaire est essentiel pour obtenir gain de cause, récupérer vos pertes et obtenir l’indemnisation de vos préjudices.
FAQ : Fraude Bancaire et Délais pour Agir – Ce qu’il Faut Savoir
Qu’est-ce qu’une opération bancaire non autorisée ?
Une opération bancaire non autorisée est un paiement (comme un virement ou un débit) qui a été réalisé sur votre compte bancaire sans votre consentement. Il s’agit le plus souvent de situations de fraude bancaire.
Je suis victime d’une fraude bancaire, quel est le premier réflexe à avoir ?
Votre premier réflexe doit être de signaler l’incident à votre banque le plus rapidement possible. La loi (article L. 133-24 du Code monétaire et financier, ou CMF) vous demande de notifier l’opération « sans tarder » à votre prestataire de services de paiement.
Quel est le délai maximal pour signaler une opération non autorisée à ma banque ?
Vous devez impérativement signaler toute opération non autorisée à votre banque au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit de cette opération.
Si vous ne respectez pas ce délai maximal de 13 mois, vous risquez la forclusion. La forclusion signifie que vous perdez votre droit de contester l’opération et, par conséquent, de demander le remboursement.
Que signifie l’obligation de « signaler sans tarder » ?
L’article L. 133-24 du CMF exige un signalement « sans tarder » en plus du délai maximal de 13 mois. Bien que ce « sans tarder » ne soit pas défini de manière précise, le non-respect du délai maximal de 13 mois est la seule cause de forclusion liée au signalement.
Toutefois, un signalement tardif (même s’il est fait dans les 13 mois) pourrait éventuellement vous être opposé par la banque si elle parvient à prouver un agissement frauduleux de votre part ou une négligence grave. C’est à la banque d’apporter cette preuve.
Ma banque refuse de me rembourser, combien de temps ai-je pour la poursuivre en justice ?
Une fois que vous avez signalé l’opération non autorisée à votre banque dans le délai de 13 mois, vous disposez d’un délai de cinq ans pour engager une action en justice si la situation n’est pas résolue à l’amiable.
Ce délai de 5 ans est le délai de prescription de droit commun (article 2224 du Code civil). Il commence à courir à partir du signalement (ou de la date à laquelle vous avez eu connaissance de l’opération).
Les banques peuvent-elles exiger que j’entame une action en justice dans les 13 mois ?
Non, la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, a apporté une clarification majeure avec son arrêt du 2 juillet 2025 (affaire n° 24-16.590).
Avant cette décision, certaines banques et tribunaux de première instance interprétaient la loi de manière extensive, soutenant que le délai de 13 mois s’appliquait non seulement au signalement à la banque, mais aussi au lancement de l’action en justice. Cette interprétation était souvent basée sur une lecture incomplète ou « dévoyée » d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
La Cour de cassation a clairement établi que le délai de 13 mois prévu par l’article L. 133-24 du CMF concerne uniquement l’obligation de signaler (ou de contester) l’opération non autorisée à votre banque, et non le délai pour agir en justice.
Pourquoi cette clarification est-elle importante pour les consommateurs ?
Cette décision de la Cour de cassation est une excellente nouvelle pour la protection des consommateurs.
Elle apporte une clarification définitive et une sécurité juridique très attendues, mettant fin à des interprétations divergentes qui étaient préjudiciables aux consommateurs. Cette solution est logique et cohérente avec le droit européen (les Directives DSP1 et DSP2). En effet, le juge ne peut pas « réécrire la loi » lorsque son sens est clair.
En pratique, cela signifie que si vous êtes victime de fraude, vous avez la possibilité de faire valoir vos droits dans un délai raisonnable (5 ans), à condition d’avoir alerté votre banque dans les 13 mois suivant le débit.
Est-ce que ces délais s’appliquent de la même manière aux professionnels ?
Non, il existe une différence importante pour les professionnels.
Pour les particuliers agissant pour leurs besoins personnels (les consommateurs), le délai de 13 mois pour signaler l’opération est impératif et ne peut être raccourci par un contrat.
Cependant, pour les autres utilisateurs, comme les professionnels ou les entreprises agissant dans le cadre de leur activité, la loi (article L. 133-24 alinéa 2 du CMF) permet expressément de fixer contractuellement un autre délai, qui peut être plus court que 13 mois.
Que se passe-t-il si je ne signale pas l’opération dans les 13 mois ?
Si vous ne signalez pas l’opération non autorisée à votre banque dans le délai maximal de treize mois suivant la date du débit, vous serez frappé de forclusion.
Comme mentionné précédemment, la forclusion est une sanction civile qui entraîne l’extinction de votre droit d’agir en justice concernant cette opération, et donc la perte de votre possibilité d’obtenir le remboursement.
Dois-je prendre un avocat pour ces démarches ?
Si vous êtes victime d’une fraude bancaire, et en particulier si votre banque refuse le remboursement, il est fortement recommandé d’être assisté par un avocat en droit bancaire.
Un avocat qui connaît parfaitement ce domaine pourra vous aider à obtenir gain de cause, à récupérer les sommes perdues et à obtenir l’indemnisation de vos préjudices, surtout face à des arguments juridiques complexes que les banques pourraient avancer.