Cryptomonnaies et Escroqueries des Influenceurs : Que Dit la Loi ?

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Les cryptomonnaies sont devenues un sujet incontournable dans l’univers de la finance et du numérique. Elles attirent autant les investisseurs en quête de rendements élevés que les escrocs cherchant à exploiter l’engouement du public. Ces dernières années, les influenceurs, figures incontournables des réseaux sociaux, se sont retrouvés au cœur de plusieurs scandales liés à des fraudes aux cryptomonnaies. Face à ces pratiques douteuses, quelles sont les protections offertes par la loi en France ?

L’essor des cryptomonnaies et le rôle des influenceurs

Les cryptomonnaies, telles que le bitcoin ou l’ethereum, sont juridiquement qualifiées d’« actifs numériques ». Selon l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier, un actif numérique est défini comme « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

Les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) sont soumis à une réglementation stricte en France. Ils doivent obligatoirement s’enregistrer auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour exercer certaines activités, telles que l’achat-vente d’actifs numériques ou leur conservation pour le compte de tiers  (C. mon. fin. art. L 54-10-3).

L’AMF publie une liste noire des prestataires non enregistrés ou non agréés, et ces derniers sont interdits de publicité par voie électronique.

Les cryptomonnaies, comme le Bitcoin ou l’Ethereum, offrent des opportunités d’investissement attractives, mais elles sont aussi connues pour leur volatilité et l’absence de régulation centralisée. Les influenceurs jouent un rôle clé dans la promotion de ces actifs numériques, souvent via des partenariats rémunérés avec des plateformes d’échange ou des projets blockchain.

Cependant, certains influenceurs peu scrupuleux profitent de leur notoriété pour inciter leurs abonnés à investir dans des projets frauduleux, des « rug pulls » (projets abandonnés après avoir levé des fonds) ou encore des schémas de Ponzi dissimulés sous des promesses de rendements exceptionnels.

Les arnaques courantes liées aux cryptomonnaies

Plusieurs types d’escroqueries aux cryptomonnaies impliquant des influenceurs ont été identifiés :

  • Le pump and dump : L’influenceur fait la promotion d’une cryptomonnaie peu connue, incitant ses abonnés à l’acheter, avant de revendre massivement ses propres jetons pour en tirer un profit rapide, provoquant l’effondrement du cours.
  • Les faux giveaways : Des influenceurs promettent des distributions gratuites de cryptomonnaies en échange d’un envoi préalable d’argent, mais disparaissent ensuite avec les fonds.
  • Les projets fantômes : Certains influenceurs créent ou promeuvent des cryptomonnaies prétendument révolutionnaires, collectent des fonds puis abandonnent le projet sans livrer le produit promis.
  • Les plateformes frauduleuses : Promotion de plateformes d’investissement en cryptomonnaies qui se révèlent être des escroqueries pures et simples.

Que dit la loi en France ?

Face à la montée des fraudes impliquant les cryptomonnaies, la France a mis en place un cadre réglementaire strict pour protéger les consommateurs.

a) L’encadrement des influenceurs

Pour garantir une meilleure transparence et une compréhension accrue des internautes, susceptibles d’être influencés par une illusion de proximité avec les influenceurs, la loi encadre strictement l’obligation d’informer sur le caractère promotionnel de leurs contenus et sur l’authenticité des images utilisées.

Depuis la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer les influenceurs et lutter contre les abus en ligne (dans le texte « LOI n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux »), plusieurs dispositions s’appliquent :

  • Obligation de transparence : Les influenceurs doivent signaler tout partenariat rémunéré et toute promotion de produits financiers ou cryptographiques.
  • Interdiction de la promotion de certains produits : Il est interdit aux influenceurs non agréés de promouvoir des investissements en cryptomonnaies sans le statut d’agent financier enregistré auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) : s’agissant des actifs numériques ou des services sur actifs numériques, la promotion est autorisée pour les seuls annonceurs enregistrés ou disposant d’un agrément de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ; pour les offres au public de jetons (IPO), la promotion est autorisée pour les seuls annonceurs ayant obtenu un visa de l’AMF.
  • Sanctions : Les influenceurs contrevenants risquent des amendes allant jusqu’à 300 000 euros et des peines de prison pouvant atteindre 2 ans (Loi art. 4, IX). Les sanctions encourues sont donc particulièrement lourdes. En outre, l’influenceur encourt une peine d’interdiction, définitive ou provisoire, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ou l’activité d’influenceur (Loi art. 4, IX).

Un décret est chargé de préciser les modalités d’application de ces obligations (Loi, art. 5, V).

L’ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 a modifié la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 afin de la mettre en conformité avec le droit européen et d’apporter des précisions sur certaines de ses dispositions. 

Toutefois, plusieurs dispositions de cette loi nécessitent encore des décrets d’application pour entrer pleinement en vigueur.

Voici une synthèse des principaux points relatifs à ces décrets ou à leur contenu attendu :

1. Définition et obligations des influenceurs

  • La loi définit les influenceurs comme des personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété pour promouvoir des biens, services ou causes auprès du public par voie électronique.
  • L’article 1er de la loi a été modifié par l’ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 pour préciser que l’activité d’influence commerciale par voie électronique est exercée par les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public des contenus visant à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou une cause quelconque.
  • Les décrets doivent préciser les seuils de rémunération ou d’avantages en nature au-delà desquels les influenceurs seront soumis à des obligations spécifiques, notamment la conclusion de contrats écrits avec leurs agents ou annonceurs.

2. Mentions obligatoires et transparence

  • Les influenceurs doivent indiquer clairement les mentions « Publicité » ou « Collaboration commerciale » sur leurs contenus promotionnels, de manière lisible et identifiable, durant toute la durée de la promotion. Cette obligation s’applique également aux contenus retouchés ou générés par intelligence artificielle, qui doivent comporter les mentions « Images retouchées » ou « Images virtuelles ».
  • Les décrets préciseront les modalités techniques de mise en œuvre de ces mentions obligatoires.
  • L’article 5 de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 a été révisé par l’ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 pour préciser que les influenceurs doivent indiquer clairement le caractère promotionnel de leurs contenus en utilisant des mentions telles que « Publicité » ou « Collaboration commerciale », ou toute mention équivalente adaptée aux caractéristiques de l’activité d’influence et au format du support de communication utilisé.
  • De plus, lorsque des images ont été retouchées ou créées par intelligence artificielle, une mention explicite doit l’indiquer, par exemple « Images retouchées » ou « Images virtuelles », ou toute mention équivalente appropriée.

3. Encadrement des agents d’influenceurs

  • L’activité d’agent d’influenceur, qui consiste à représenter des influenceurs dans leurs relations commerciales, est également encadrée. Les décrets devront définir les obligations spécifiques des agents, notamment en matière de prévention des conflits d’intérêts.

4. Responsabilité et assurance

  • Les influenceurs établis hors de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen (EEE) doivent désigner un représentant légal dans l’UE et souscrire une assurance couvrant leur responsabilité civile pour les activités visant un public français. Les décrets préciseront les modalités de désignation de ce représentant et les conditions de souscription de l’assurance.
  • En outre , un nouvel article 5-1 a été introduit par l’ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 pour préciser que certaines dispositions de la loi ne s’appliquent pas aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique établies dans un autre État membre de l’Union européenne, de la Confédération suisse ou de l’Espace économique européen, conformément aux directives européennes en vigueur. Initialement, la loi s’appliquait à tous les influenceurs ciblant un public situé en France, indépendamment de leur lieu de résidence ou d’établissement. Cette approche englobait donc les influenceurs établis tant en France qu’à l’étranger, y compris ceux situés au sein de l’Espace économique européen (EEE). Or, la Commission européenne a émis des réserves sur cette portée territoriale, estimant qu’elle contrevenait aux principes des directives européennes, notamment la directive « e-commerce » et la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA). Ces directives stipulent que la législation applicable à un prestataire de services est celle du pays dans lequel il est établi, conformément au principe du « pays d’origine ». Pour se conformer aux exigences européennes, l’ordonnance a ajusté le champ d’application territorial de la loi. Désormais, certaines dispositions de la loi ne s’appliquent pas aux influenceurs établis dans un autre État membre de l’EEE, de la Confédération suisse ou de l’Union européenne, conformément aux directives européennes en vigueur. Ainsi, un influenceur résidant en Allemagne, par exemple, et s’adressant à un public français, sera soumis à la législation allemande plutôt qu’à la loi française.

5. Interdictions spécifiques

  • La loi interdit la promotion de certains produits ou services jugés nocifs, comme les pronostics sportifs ou les actes à visée esthétique présentant des risques pour la santé.
  • L’article 4 de la loi la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 a été révisé par l’ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 pour interdire aux influenceurs la promotion, directe ou indirecte, des éléments suivants :
    • Actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique pouvant présenter des risques pour la santé, tels que mentionnés à l’article L. 1151-2 du code de la santé publique.
    • Produits, actes, procédés, techniques et méthodes non thérapeutiques présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, protocoles ou prescriptions thérapeutiques.
    • Produits contenant de la nicotine pouvant être consommés et composés, même partiellement, de nicotine.
    • Promotion impliquant des animaux n’appartenant pas à la liste mentionnée au I de l’article L. 413-1 A du code de l’environnement, sauf pour les établissements autorisés à détenir ces animaux conformément à l’article L. 413-3 du même code.

6. Mécanismes de signalement et coopération avec les plateformes

  • Les plateformes en ligne doivent mettre en place des mécanismes permettant de signaler les contenus illicites, conformément au Digital Services Act (DSA). Les décrets préciseront les modalités de coopération entre les plateformes et les autorités françaises.

Certaines dispositions de la loi sont suspendues à la publication des décrets d’application. Selon les informations disponibles, ces décrets devraient être publiés d’ici la fin de l’année 2025.

b) Le rôle de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et de la DGCCRF

L’AMF et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) jouent un rôle clé dans la lutte contre les escroqueries aux cryptomonnaies.

L’AMF détecte les offres illégales et peut transmettre les dossiers au parquet pour des poursuites pénales. L’AMF a mis en place une liste noire des plateformes de trading non autorisées en France et appelle régulièrement à la vigilance face aux offres trop alléchantes. Elle impose également aux plateformes légitimes de s’enregistrer et de respecter des obligations strictes en matière d’information des investisseurs.

La DGCCRF, quant à elle, contrôle les pratiques publicitaires et peut sanctionner les influenceurs en cas de non-respect des règles de transparence.

c) Les sanctions pénales et civiles

En cas d’escroquerie avérée, plusieurs articles du Code pénal français permettent d’engager la responsabilité des influenceurs et des promoteurs de ces arnaques :

  • L’escroquerie (Article 313-1 du Code pénal) : Passible de 5 ans de prison et de 375 000 euros d’amende.
  • L’abus de confiance (Article 314-1 du Code pénal) : Puni de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
  • La publicité trompeuse et les pratiques commerciales trompeuses (Article L121-2 du Code de la consommation) : Peut entraîner des sanctions financières et des interdictions d’exercer. Le non-respect de ces obligations peut, en effet, donner lieu à des poursuites sur le fondement des articles L. 121-1 et également L. 121-3 du code de la consommation lesquels prévoient qu’une pratique commerciale est trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps, une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte. En outre, selon l’article L. 121-4 du même code, sont réputées trompeuses les pratiques commerciales qui ont pour objet, soit d’utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit ou d’un service alors que le professionnel a financé celle-ci, lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur (11°), soit de faussement affirmer ou donner l’impression que le professionnel n’agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ou de se présenter faussement comme un consommateur (21°). Ces délits sont punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 €, le montant de l’amende pouvant être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit (C. consom., art. L. 132-2).

Comment se protéger ?

Les investisseurs doivent adopter une approche prudente et critique face aux recommandations des influenceurs. Voici quelques conseils :

  • Vérifier les agréments : Avant d’investir, s’assurer que la plateforme est enregistrée auprès de l’AMF.
  • Ne jamais investir sur la seule base d’une promotion : Les influenceurs ne sont pas toujours qualifiés pour donner des conseils financiers.
  • Se méfier des promesses trop belles pour être vraies : Un rendement élevé et garanti est souvent un signe de fraude.
  • Consulter les avis et les forums spécialisés : Les expériences d’autres investisseurs peuvent alerter sur des pratiques suspectes.

Conclusion

Les cryptomonnaies offrent des opportunités intéressantes, mais elles sont aussi un terrain fertile pour les arnaques. L’implication d’influenceurs dans ces escroqueries a conduit la France à renforcer son arsenal législatif pour protéger les consommateurs. 

Il appartient à chacun de rester vigilant, de vérifier les sources et de ne jamais investir aveuglément sous l’influence de personnalités des réseaux sociaux. La prudence est la meilleure arme contre les fraudes aux cryptomonnaies.