Prêts en francs suisses remboursables en francs suisses : nouvelles victoires pour les emprunteurs face aux clauses abusives

Une récente décision de la Cour d’appel a apporté des éclaircissements majeurs sur le caractère abusif de certaines stipulations d’un prêt en francs suisses remboursables en francs suisses et ses conséquences radicales pour les emprunteurs. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une décision de la Cour d’appel de Paris, confirmée par la Cour de cassation qui avait également été rendue au sujet d’un prêt en devises suisses, remboursé dans la même devise.

Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 6, 30 mars 2022, n° 20/02033

Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, 22-17.030, Publié au bulletin

Cour d’appel de Lyon, 1re chambre civile a, 27 mars 2025, n° 21/08790

Qu’est-ce qu’une clause abusive dans un contrat de prêt ?

Selon le droit de la consommation, une clause est considérée comme abusive lorsqu’elle a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Ce déséquilibre doit être apprécié au moment de la conclusion du contrat, au regard de toutes ses clauses.

Même si une clause porte sur l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation du prix, elle peut être jugée abusive si elle n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible. Cette exigence de clarté va au-delà de la simple intelligibilité formelle et grammaticale : elle impose que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme visé par la clause, permettant ainsi au consommateur d’évaluer les conséquences économiques potentiellement significatives pour lui.

Les décisions marquantes : Lyon et Paris sur la même longueur d’onde

Deux arrêts récents illustrent parfaitement cette approche protectrice du consommateur :

L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 27 mars 2025 (Cour d’appel de Lyon, 1re chambre civile a, 27 mars 2025, n° 21/08790).

Dans cette affaire, M. [T] et Mme [P] avaient contracté un prêt immobilier à taux variable portant sur la contrevaleur en francs suisses de 451 000 euros, d’une durée de 300 mois. La Cour d’appel a jugé que les clauses 4.3 (« Remboursement du crédit ») et 9 (« Dispositions propres aux crédits en devises ») du contrat étaient abusives et devaient être réputées non écrites.

  1. Pourquoi ces clauses étaient-elles abusives ? La Cour a constaté un manque d’information claire et compréhensible de la part de la banque sur le risque de change.
    • Un risque intrinsèque existait dès la souscription : le montant de 752 719 francs suisses mentionné initialement était susceptible de différer du montant que les emprunteurs devraient réellement rembourser, car la conversion des fonds en euros se faisait au moment du premier déblocage des fonds et non à la date d’acceptation de l’offre.
    • Le contrat prévoyait également un risque de change en cas d’impayés, permettant à la banque de convertir la somme en euros pour la prélever sur un compte euro, ce qui exposait l’emprunteur à la fluctuation des monnaies.
    • La clause 9, relative à l’acceptation de modifications futures des clauses en fonction de la réglementation des changes, a été jugée imprécise et contribuant à l’aggravation du risque.
    • Ce risque de change pesait exclusivement sur les emprunteurs.
    • Aucune indication concrète, simulation ou exemple chiffré n’avait été fournie pour permettre aux emprunteurs de se représenter l’ampleur potentielle du risque.
  2. La Cour a souligné que le fait que l’emprunteur puisse avoir des connaissances particulières (par exemple, en étant un travailleur frontalier) est indifférent, l’appréciation du degré d’information étant basée sur le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 mars 2022 (Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 6, 30 mars 2022, n° 20/02033), confirmé par la Cour de cassation le 12 juillet 2023 (Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 juillet 2023, 22-17.030, Publié au bulletin).

Dans un cas similaire de prêt immobilier « in fine » en francs suisses consenti à Monsieur Z X, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de première instance et a jugé abusives et non écrites les clauses 5.3 (« remboursement du crédit ») et 10.5 (« changement de parité »). La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la banque, confirmant ainsi cette analyse.

  1. Les raisons de leur caractère abusif étaient similaires :
    • La clause 5.3 comportait des informations contradictoires sur la devise de remboursement, affirmant le paiement en euro/franc français mais exigeant un compte en devises pour les prélèvements principaux.
    • Le contrat manquait d’informations précises sur les modalités de remboursement en francs suisses et l’application des taux de change, alors même que l’emprunteur ne percevait pas de revenus en francs suisses.
    • La clause 10.5, bien que stipulant que l’emprunteur assume les conséquences du changement de parité, était jugée « laconique et sommaire ».
    • En somme, l’emprunteur n’avait pas reçu les informations suffisantes pour évaluer les conséquences économiques et les risques de fluctuation des monnaies sur ses obligations.
  2. À noter : La Cour d’appel de Paris a en revanche rejeté la demande de considérer comme abusives les clauses 5.2 et 6 relatives à l’indexation sur le LIBOR 3 mois. Ces clauses étaient jugées claires et basées sur un indice objectif ne dépendant pas de la volonté de la banque.

Les conséquences concrètes pour les emprunteurs

Lorsque des clauses essentielles portant sur l’objet principal du contrat sont réputées non écrites, cela a des répercussions majeures :

  • Anéantissement rétroactif du contrat de prêt : Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, ce qui implique de remettre les parties dans la situation antérieure à sa conclusion.
  • Restitutions réciproques :
    • L’emprunteur est condamné à rembourser à la banque le montant initial du capital emprunté en euros, selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds.
    • La banque, de son côté, doit restituer à l’emprunteur toutes les sommes perçues en exécution du prêt (amortissements, intérêts, cotisations, commissions, primes d’assurance), converties en euros au taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
    • Une compensation est ensuite ordonnée entre ces créances réciproques, avec application des intérêts au taux légal à compter de la décision de justice.
  • Dommages et intérêts pour manquement au devoir d’information : Bien que les restitutions compensent souvent le préjudice financier lié au risque de change, un manquement avéré au devoir d’information de la banque peut donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts pour la perte de chance de ne pas contracter. La Cour de Lyon a ainsi accordé 1 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral dans ce cadre.

Un point important sur la prescription

Il est essentiel de comprendre l’évolution jurisprudentielle concernant les délais de prescription. Tandis que l’action visant à faire constater le caractère abusif d’une clause n’est pas soumise à un délai de prescription, l’action en restitution des sommes indûment versées est, elle, soumise à un délai de cinq ans.

Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne, et par voie de conséquence la Cour de cassation, ont clarifié que ce délai de prescription de cinq ans pour l’action en restitution ne commence à courir qu’à compter de la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. Cette approche est fondamentale car elle assure que le consommateur, qui pouvait auparavant ignorer l’étendue de ses droits, n’est pas privé de son recours. En ce qui concerne l’action en responsabilité pour manquement au devoir d’information, le délai de prescription court à compter du jour où la victime a eu connaissance du dommage, comme ce fut le cas pour le remboursement anticipé du prêt en janvier 2022 dans l’affaire de Lyon.

En conclusion

Ces décisions renforcent significativement la protection des consommateurs face aux clauses complexes des prêts en devises étrangères. Elles rappellent l’impératif pour les banques de fournir une information parfaitement claire, transparente et exhaustive sur tous les risques, en particulier le risque de change, qui repose sur l’emprunteur. Pour tout emprunteur ayant souscrit un prêt en francs suisses ou toute autre devise étrangère, il est plus que jamais opportun de faire examiner son contrat afin de vérifier la conformité de ses clauses et, le cas échéant, d’envisager une action en justice pour défendre ses droits.

N’hésitez pas à me contacter si vous avez des questions sur ce sujet ou si vous souhaitez une analyse de votre situation.


FAQ : Prêts en francs suisses et clauses abusives – Ce que vous devez savoir

Cette FAQ est conçue pour vous éclairer sur les enjeux des contrats de prêt en francs suisses remboursables dans la même devise, à la lumière des décisions récentes des Cours d’appel de Lyon et de Paris, ainsi que de la Cour de cassation.

1. Qu’est-ce qu’une clause abusive dans mon contrat de prêt ?

Une clause est considérée comme abusive si elle a pour but ou pour effet de créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur entre les droits et obligations des parties au contrat. Ce déséquilibre s’apprécie au moment de la conclusion du contrat, en tenant compte de toutes ses clauses. Même si une clause concerne l’objet principal du contrat (comme le remboursement), elle peut être déclarée abusive si elle n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible. L’exigence de clarté va au-delà de la simple grammaire : le contrat doit exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme pour que vous puissiez évaluer les conséquences économiques.

2. Quelles sont les clauses qui ont été jugées abusives dans les décisions récentes ?

Les clauses relatives au remboursement du crédit (par exemple, la clause 4.3 dans l’affaire de Lyon et 5.3 dans l’affaire de Paris) et celles concernant les dispositions propres aux crédits en devises (clause 9 à Lyon, clause 10.5 relative au « changement de parité » à Paris) ont été déclarées abusives et réputées non écrites.

3. Pourquoi ces clauses sont-elles considérées comme abusives ?

Ces clauses sont jugées abusives principalement en raison d’un manque d’information claire et compréhensible sur le risque de change. Voici les raisons spécifiques :

  • Risque de change à la souscription et au déblocage : Le montant du prêt en francs suisses pouvait différer du montant que les emprunteurs devraient réellement rembourser, car la conversion des fonds en euros se faisait au moment du premier déblocage et non à la date d’acceptation de l’offre.
  • Risque en cas d’impayés ou remboursement anticipé : Le contrat exposait l’emprunteur au risque de change en cas d’impayés, permettant à la banque de convertir la somme en euros pour la prélever sur un compte euro, ou lors d’un remboursement anticipé avec des fonds en euros.
  • Imprécision et aggravation du risque : Des clauses, comme celles relatives à l’acceptation de futures modifications des clauses en fonction de la réglementation des changes, ont été jugées imprécises et contribuant à l’aggravation du risque.
  • Risque exclusivement à la charge de l’emprunteur : Le risque de change pesait entièrement sur les emprunteurs, sans mécanisme clair pour leur permettre d’en comprendre l’ampleur.
  • Absence de simulations ou d’exemples chiffrés : Aucune indication concrète, simulation ou exemple chiffré n’avait été fournie pour permettre aux emprunteurs de se représenter l’ampleur potentielle du risque.

La banque ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les emprunteurs acceptent de tels risques disproportionnés compte tenu du manque de transparence.

4. Est-ce que mes connaissances financières ou le fait d’être un travailleur frontalier importent ?

Non, le degré d’information à fournir et le caractère abusif de la clause s’apprécient par référence au consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Vos connaissances particulières en matière d’ingénierie financière ou de parité des monnaies sont indifférentes à cette appréciation.

5. Quelles sont les conséquences si ces clauses sont jugées abusives ?

Lorsque des clauses essentielles portant sur l’objet principal du contrat sont réputées non écrites, cela entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat de prêt. Le contrat est considéré comme n’ayant jamais existé, ce qui implique de remettre les parties dans la situation antérieure à sa conclusion.

6. Comment se déroulent les restitutions réciproques ?

  • L’emprunteur doit rembourser à la banque le montant initial du capital emprunté en euros, selon le taux de change applicable à la date de la mise à disposition des fonds.
  • La banque doit restituer à l’emprunteur toutes les sommes perçues en exécution du prêt (amortissements, intérêts, cotisations, commissions, primes d’assurance), converties en euros au taux de change applicable au moment de chacun des paiements.
  • Une compensation est ensuite ordonnée entre ces créances réciproques. Les sommes dues après compensation porteront intérêt au taux légal à compter de la décision de justice.

7. Puis-je demander des dommages et intérêts ?

Oui, un manquement avéré au devoir d’information de la banque peut donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts pour préjudice moral, même si les restitutions compensent le préjudice financier lié au surcoût dû au risque de change. La Cour de Lyon a ainsi accordé 1 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral dans ce cadre.

8. Y a-t-il un délai pour agir en justice (prescription) ?

C’est un point crucial :

  • L’action visant à faire constater le caractère abusif d’une clause n’est pas soumise à un délai de prescription.
  • L’action en restitution des sommes indûment versées est soumise à un délai de cinq ans. Cependant, ce délai de prescription de cinq ans pour l’action en restitution ne commence à courir qu’à compter de la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. Cette interprétation assure que le consommateur n’est pas privé de son recours.
  • Quant à l’action en responsabilité pour manquement au devoir d’information, le délai de prescription court à compter du jour où la victime a eu connaissance du dommage (par exemple, le jour du remboursement anticipé du prêt).

9. Mon contrat est-il annulé si seulement quelques clauses sont abusives ?

Si les clauses réputées non écrites constituent l’objet principal du contrat, celui-ci ne peut subsister sans elles, entraînant son anéantissement rétroactif.

1521 2281 max

Besoin de conseils juridiques personnalisés ?

Ne restez pas seul face à vos questions. Un avocat peut vous rappeler gratuitement pour faire le point sur votre situation.

Besoin de conseils juridiques personnalisés ?

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
RGPD :

Articles similaires

assets task 01jx048bsffmqsf4sfc3pd7s0d 1749130002 img 1

Fraude bancaire : phishing, spoofing, la preuve de la négligence grave

La question de la restitution des sommes débitées à la suite à de virements non autorisés, souvent liés à des fraudes telles que le phishing, ...

usurpation identite 2

Usurpation d’identité : enjeux, mesures préventives et recours juridiques

L’usurpation d’identité est un phénomène de plus en plus préoccupant à l’ère du numérique. En effet, l’accès facile aux données personnelles, combiné à l’évolution des ...

img 2862

Assurance emprunteur : quand la clause d’invalidité devient abusive, la cour de cassation tranche !

L’assurance emprunteur est une composante essentielle de tout crédit immobilier, offrant une protection tant à l’emprunteur qu’à la banque en cas de coups durs comme ...