Quand le Banquier Conseiller en Gestion de Patrimoine est-il fautif ? – CA Rennes, 2e ch., 7 oct. 2025, n° 23/01966

La relation entre un client et sa banque, notamment lorsque cette dernière agit en qualité de conseiller en gestion de patrimoine, est encadrée par des obligations strictes, notamment les devoirs de conseil et de mise en garde. Cependant, la responsabilité de la banque n’est pas illimitée, surtout lorsque le client prend des initiatives d’investissement à haut risque, en dehors des produits proposés par l’établissement.

Une récente décision de la Cour d’appel de Rennes, datée du 7 octobre 2025 (n° 23/01966), met en lumière les conditions sous lesquelles la responsabilité d’une banque peut être engagée ou écartée face à des placements litigieux réalisés par son client, notamment dans le contexte des cryptomonnaies.

1. La Distinction Cruciale : Placement Proposé par la Banque vs. Initiative du Client

Le principe fondamental retenu par la jurisprudence est que la responsabilité du banquier envers son client diffère suivant que le placement a été ou non proposé par la banque.

Dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Rennes, M. [K] et sa société réclamaient une indemnisation au Crédit Mutuel, reprochant des manquements aux obligations de conseil et de vigilance suite à des investissements massifs en cryptomonnaies via des plateformes externes (Verticoin et Union Crypto).

Il était constant que les investissements critiqués avaient été réalisés par M. [K] sur sa seule initiative. Le client avait découvert ces opportunités via une publicité sur Facebook et des reportages médiatiques, puis avait été contacté par des représentants des plateformes.

Dans ce contexte, le Crédit Mutuel n’était aucunement intervenu en qualité de conseiller en investissement financier concernant ces placements externes.

2. Le Devoir de Conseil : Une Portée Restreinte mais Maintenue

Bien que la banque n’ait pas conseillé les placements externes en cryptomonnaie, M. [K] était fondé à rechercher sa responsabilité au titre de manquements à ses obligations de conseil dans la gestion du patrimoine. Cette possibilité d’engager la responsabilité du banquier, même pour des opérations externes, s’expliquait ici par le fait que certaines opérations de virement litigieuses concernaient des fonds qui avaient été initialement placés sur les conseils de la banque, et dont les conseillers assuraient la gestion.

Toutefois, pour que la responsabilité du banquier soit retenue, il faut établir un manquement à ce devoir.

La Preuve de l’Obligation de Mise en Garde

La Cour d’appel a examiné si la banque avait respecté son devoir de mise en garde en sa qualité de conseil en gestion de patrimoine.

La banque a prouvé sa diligence :

  1. Alerte Imminente et Régulière : Il ressort des attestations des conseillers que ceux-ci ont mis en garde M. [K] sur les risques des opérations sur des sites proposant des cryptomonnaies dès qu’ils en ont eu connaissance.
  2. Formalisation des Avertissements : Suite à la transmission par M. [K] d’un courriel sur les avantages du Bit-Coin (21 janvier 2018), le conseiller lui a renvoyé, dès le 30 janvier 2018, un modèle de courrier l’invitant à reconnaître avoir été informé des risques et conséquences de l’investissement à l’étranger, du risque de perte totale, et avoir été alerté sur les risques de fraude et d’escroquerie que son conseiller lui avait « fortement déconseillé de réaliser ». Ce document, même non signé par le client, confirmait l’existence des mises en garde préalables.
  3. Mise en Garde Postérieure et Formelle : Le Crédit Mutuel a également produit un courrier recommandé du 13 février 2018 (dont la teneur s’inscrivait dans la continuité du courriel de janvier) informant M. [K] des risques de fraude et d’escroquerie, se référant à des échanges antérieurs, et rappelant que le risque de perte total était réel.

3. Les Facteurs Disculpant la Banque

Plusieurs éléments ont conduit la Cour à conclure à l’absence de manquements imputables à la banque :

  • Le Profil Investisseur du Client : M. [K] s’était déclaré lui-même être expérimenté en toutes formes de produits financiers et avait accepté une forte prise de risque en capital en contrepartie d’un niveau de risque élevé. Ce profil était jugé en cohérence avec son choix de passer outre les alertes des conseillers.
  • La Limite du Profil Investisseur : Le reproche fait à la banque d’avoir permis des placements excédant 10 à 25 % de son patrimoine (selon son profil investisseur) a été rejeté. Les premiers juges ont rappelé que ce profil ne concernait que les opérations de placement réalisées par l’intermédiaire et sur les conseils de la banque, et non celles que M. [K] effectuait sur sa seule initiative auprès d’opérateurs externes.
  • La Volonté Persistante du Client : M. [K] était à la recherche de rendements importants et avait décliné les propositions de la banque qu’il jugeait insuffisamment rémunératrices. De plus, postérieurement à une mise en garde formelle de la banque en avril 2018, il a procédé à d’autres opérations de virement au profit d’autres sites étrangers, manifestant sa volonté de poursuivre ces investissements malgré les risques signalés.

En l’espèce, la banque ayant rempli ses devoirs d’information et de mise en garde, et le client ayant agi en connaissance de cause et sur sa seule volonté, il n’a pas été établi de manquements imputables à la banque relativement à son obligation de conseil en gestion de patrimoine.

4. Le Devoir de Vigilance du Teneur de Compte

Outre le devoir de conseil, la Cour a également écarté tout manquement au devoir de vigilance.

Le banquier est tenu par le devoir de non-ingérence dans les comptes et les affaires de son client, sauf en cas d’anomalies matérielles ou intellectuelles. Il est un simple teneur de compte et n’a pas à s’assurer de l’opportunité ou de la dangerosité des opérations demandées par le client si elles sont autorisées.

Dans le cas présent, les virements, bien que fréquents et importants, ne présentaient aucune anomalie justifiant l’ingérence de la banque :

  • Ils étaient conformes à la volonté du client.
  • Ils ne présentaient aucune anomalie formelle ou matérielle.
  • Le fait que les virements aient nécessité des augmentations de plafonds n’était pas une anomalie, car ces opérations s’inscrivaient dans la volonté de M. [K] de placer des montants importants en cryptomonnaie, volonté connue de la banque qui l’avait averti des risques.
  • Le fait que les comptes bénéficiaires soient domiciliés à l’étranger n’est pas, en soi, un indice d’anomalie pour des placements dématérialisés.

Conclusion

La décision de la Cour d’appel de Rennes offre une grille d’analyse intéressante : la responsabilité de la banque en qualité de conseiller en gestion de patrimoine pour des placements externes n’est pas retenue dès lors qu’elle prouve avoir respecté son devoir d’information et de mise en garde, et que le client, fût-il à la recherche de rendements élevés, a poursuivi ses opérations sur sa seule initiative, malgré les alertes répétées.

L’établissement bancaire a été disculpé de l’ensemble des manquements reprochés, et le jugement de première instance a été intégralement confirmé.

En miroir des conditions d’exonération évoquées, la responsabilité de la banque en sa qualité de conseiller en gestion de patrimoine pourrait être engagée si les manquements relevaient de l’un des domaines suivants :

Manquement aux Obligations de Conseil Direct et d’Adéquation

La responsabilité de la banque serait retenue si le placement litigieux avait été proposé par elle. Dans ce cas, les règles strictes d’adéquation et d’information s’appliqueraient pleinement. La banque manquerait à son devoir de conseil si, par exemple, elle proposait un investissement à haut risque à son client sans s’assurer que celui-ci correspondait à son profil investisseur, notamment en termes de capacité de risque ou de pourcentage d’investissement dans le patrimoine global (les limites de 10 à 25 % du patrimoine étant applicables uniquement aux opérations réalisées sur les conseils de la banque). Le banquier serait également responsable s’il omettait de prodiguer les conseils requis dans la gestion des fonds initialement placés sur ses propres recommandations.

Absence ou Insuffisance du Devoir de Mise en Garde

Contrairement à la situation jugée où la banque a prouvé avoir averti « fortement déconseillé » et alerté sur les risques de « fraude et d’escroquerie », la banque serait fautive si elle n’apportait pas la preuve d’avoir rempli ses devoirs d’information et de mise en garde. Ces mises en garde doivent être claires et faites dès la connaissance des opérations risquées ou douteuses, sans attendre que le client ait procédé à des transactions massives. Si le client avait continué ses opérations sans jamais avoir reçu les avertissements formels de la banque (courriels ou recommandés) ou si la banque avait facilité sans réserve des opérations manifestement dangereuses, cela constituerait un manquement à son obligation de conseil.

Manquement au Devoir de Vigilance en Cas d’Anomalie

Bien que le banquier soit un simple teneur de compte soumis au devoir de non-ingérence, il est tenu d’une obligation contractuelle de vigilance qui cède si les opérations présentent des anomalies matérielles ou intellectuelles. La banque serait responsable si les virements étaient entachés d’une anomalie formelle ou matérielle (comme une opération non conforme à la volonté du client ou non autorisée). De plus, si la banque avait eu connaissance du caractère frauduleux des plateformes bénéficiaires (par exemple, si les sites figuraient déjà sur une liste noire de l’AMF à la date des virements critiqués), elle aurait manqué à son devoir de vigilance en exécutant les ordres sans ingérence ou vérification.

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