L’arrêt de la Cour de cassation (Chambre commerciale) du 12 juin 2025, intervenu dans le litige opposant la SNC Avesta 75 et la SASU Ecofip à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Antilles Guyane, est une décision intéressante en matière de responsabilité bancaire et de prescription.
Alors que la Cour d’appel avait jugé l’action de l’emprunteur prescrite en la faisant courir dès la signature du contrat, la Cour a censuré cette analyse en affirmant un principe essentiel : lorsque le dommage découle d’une condamnation judiciaire contre un tiers, le délai de prescription ne court qu’à partir de cette décision devenue irrévocable.
Pour comprendre la portée de cette solution, il est indispensable de revenir au cœur du différend contractuel, qui réside dans l’incompatibilité apparente entre une clause de protection de l’emprunteur et l’exercice du recours légal par la caution.
1. Le Contexte du Financement et le manquement au Devoir d’Information
L’affaire porte sur un contrat de prêt professionnel conclu le 5 avril 2007. La SNC Avesta 75 (société emprunteuse gérée par Ecofip, spécialisée dans le financement d’investissements outre-mer) reprochait à la banque un manquement à son devoir d’information.
Ce manquement tiendrait au fait que la banque a omis d’informer l’emprunteur des conséquences d’une garantie supplémentaire qui venait anéantir un avantage contractuel majeur pour Avesta 75.
2. Le Conflit au Sein du Contrat : Non-Recours vs. Recours Légal
Le contrat de prêt de 2007 contenait deux dispositions distinctes qui, mises en concurrence, créaient un risque non maîtrisé par l’emprunteur.
A. La Clause de Non-Recours Limité (Le Bouclier de l’Emprunteur)
Pour protéger l’emprunteur (Avesta 75), le contrat comportait une clause essentielle de non-recours limité. Cette clause stipulait expressément qu’en cas de défaillance de la société exploitante (la SARL G20, bénéficiaire de l’investissement), le prêteur (la banque) s’engageait à se contenter des seules garanties conférées (nantissement d’outillage, délégation de loyers).
Surtout, cette clause prévoyait que la banque abandonnait tout recours complémentaire contre l’emprunteur (Avesta 75) ou quelconque de ses associés, même si les garanties fournies s’avéraient insuffisantes. Le contrat précisait que cette clause devait prévaloir sur toute autre clause contraire ou opposable de l’acte.
Pour Avesta 75 et Ecofip, cette clause était fondamentale puisqu’elle limitait leur risque financier à la perte des garanties, les protégeant de l’éventualité de devoir supporter la charge finale de la dette.
B. L’Insertion du Cautionnement (Le Cheval de Troie)
Toutefois, le prêt était également garanti par un cautionnement personnel et solidaire d’une personne physique, M. [R].
La section sur le recours de la caution énonçait une règle de droit commune, mais dont l’effet était, selon l’emprunteur, catastrophique : « Du fait de son paiement, la caution dispose contre le cautionné des recours prévus par la loi ».
Le problème soulevé par Avesta 75 était le suivant : même si la banque s’engageait contractuellement à ne pas la poursuivre (clause de non-recours), si la caution payait la banque, la caution pouvait légalement se retourner contre Avesta 75 (le cautionné) pour obtenir son remboursement total. En fin de compte, la SNC Avesta 75 se retrouvait à supporter la charge finale de la dette, rendant l’engagement de limitation de recours de la banque totalement annihilé.
Avesta 75 et Ecofip reprochaient à la banque de ne pas avoir informé l’emprunteur sur la nécessité d’insérer dans le contrat une clause de renonciation à recours de la caution contre l’emprunteur, afin de préserver l’efficacité de la clause de non-recours.
3. L’Erreur d’Appréciation de la Cour d’Appel (2023)
Saisie de l’action en responsabilité intentée le 9 juin 2017, la Cour d’appel de Fort-de-France, par arrêt du 7 novembre 2023, a déclaré l’action d’Avesta 75 irrecevable car prescrite.
La Cour d’appel a estimé que, puisque la SNC Avesta 75 était gérée par la société Ecofip (un professionnel de la finance), elle était en mesure d’apprécier dès la conclusion du contrat (le 5 avril 2007) le risque que le recours de la caution viendrait limiter l’effet de la clause de non-recours. La Cour relevait d’ailleurs que les clauses du contrat de prêt étaient claires et sans ambiguïté.
La juridiction d’appel a jugé que le point de départ de la prescription devait être fixé à la date de conclusion du contrat, le 5 avril 2007. Appliquant le délai de cinq ans (issu de la loi de 2008), elle en a déduit que le délai était expiré depuis le 18 juin 2013.
4. La Cassation (2025) : Le Dommage Né de la Condamnation
La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 juin 2025, est venue rétablir la temporalité du préjudice pour l’emprunteur. Elle a rappelé que l’action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation.
La Cour a rappelé un principe fondamental concernant la date de manifestation du dommage dans ce type de situation :
« Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d’une procédure contentieuse l’opposant à un tiers, ce dommage ne se manifeste qu’au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée, de sorte que son droit n’étant pas né avant cette date, le délai de prescription de son action ne court qu’à compter de cette décision. »
Cette solution s’aligne sur une jurisprudence désormais établie (Cass. ch. mixte, 19 juill. 2024, n° 20-23.527).
En l’espèce, cette condamnation est intervenue par un arrêt devenu irrévocable de la cour d’appel de Fort-de-France le 6 décembre 2016.
Ainsi, le préjudice réel de la SNC Avesta 75 n’était pas la connaissance théorique du risque en 2007, mais la condamnation effective à relever et garantir la caution, qui a ainsi supporté la charge finale de la dette.
L’assignation en responsabilité contre la banque ayant été délivrée le 9 juin 2017, l’action était bien recevable, car intentée dans le délai de cinq ans à compter de la manifestation du dommage.
Par conséquent, la Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt d’appel, fixant le point de départ du délai de prescription au 6 décembre 2016, garantissant ainsi à la SNC Avesta 75 la possibilité de voir statuer au fond sur la responsabilité de la banque.


