Le Juge de l’exécution du Tribunal Judiciaire de Paris, dans sa décision du 11 janvier 2024 (n° 23/81656), a prononcé l’annulation des mesures d’exécution forcée diligentées par la SAS Cabot Financial France (anciennement Nemo Crédit Management), faute pour cette dernière d’avoir valablement prouvé sa qualité de cessionnaire de la créance émanant d’un jugement du 20 septembre 2005. La société Cabot a été condamnée à des dommages-intérêts pour saisie abusive.
Le contrôle renforcé du juge sur la justification de la qualité à agir du cessionnaire
Contexte et faits de l’affaire Cabot Financial France / M. [F]
Cette décision concerne un litige opposant Monsieur [F] à la SAS Cabot Financial France, anciennement dénommée Nemo Crédit Management.
L’origine de cette procédure réside dans l’exécution d’un jugement contradictoire prononcé par le tribunal d’instance de Bobigny le 20 septembre 2005, lequel condamnait M. [F] à verser diverses sommes à la banque BNP Paribas.
Se fondant sur ce titre exécutoire, la société Cabot, se présentant comme cessionnaire de la créance, a initié des mesures d’exécution forcée :
- un commandement de payer aux fins de saisie-vente le 16 juin 2018 ;
- puis une saisie-attribution sur les comptes de M. [F] le 3 janvier 2022.
M. [F] a introduit une action devant le JEX afin de solliciter l’annulation de ces mesures, arguant notamment de l’absence de justification de la qualité à agir de Cabot.
Le cœur de la contestation portait sur l’établissement de la qualité pour agir de Cabot Financial France en tant que successeur légal de BNP Paribas. Il est impératif pour une société de recouvrement de prouver qu’elle est bien le cessionnaire de la créance faisant l’objet de la poursuite.
Cabot a produit un acte sous seing privé de cession de créance daté du 19 octobre 2017. Par cet acte, BNP Paribas cédait à Cabot une créance d’un montant de 18.026,65 euros, référencée sous le numéro 9057467.
Les incohérences entre le titre exécutoire et l’acte de cession de créance
Cependant, le JEX a relevé une discordance fondamentale entre les éléments produits par Cabot et le titre exécutoire initial.
- le jugement de 2005 faisait référence à un compte de dépôt et à un prêt spécifique, dont aucune des références ne correspondait à la référence figurant dans l’acte de cession de 2017 ;
- le montant du jugement (13 148,29 €) ne correspondait pas à celui mentionné dans l’acte de cession (18 026,65 €).
Le juge a souligné que Cabot n’avait pas réussi à fournir une explication probante sur la corrélation entre la créance acquise et l’exécution du jugement de 2005. En conséquence, le tribunal a retenu que Cabot échoue dans la preuve lui incombant de ce qu’elle a la qualité de cessionnaire de la créance résultant du jugement.
L’importance de la preuve de la qualité à agir du créancier cessionnaire
L’absence de qualité à agir de la société Cabot a eu des répercussions directes sur la validité des mesures d’exécution entreprises. Le Tribunal Judiciaire de Paris a prononcé l’annulation du commandement de payer aux fins de saisie vente du 16 juin 2018, ainsi que l’annulation de la saisie-attribution du 3 janvier 2022.
Cette décision, qui annule un commandement de payer aux fins de saisie-vente et une saisie-attribution, est une application rigoureuse de l’article L. 111-2 du code des procédures civiles d’exécution, qui impose au créancier poursuivant de justifier d’un titre exécutoire et, en cas de cession, de sa qualité pour agir. L’arrêt illustre un durcissement du contrôle exercé par le JEX sur la traçabilité des créances cédées, en particulier lorsque le titre est ancien.
Il est de jurisprudence constante que le cessionnaire doit justifier de sa qualité pour poursuivre l’exécution du titre au nom du cédant. Dans le cas présent, la société Cabot avait produit un acte de cession de créance daté du 19 octobre 2017. Cependant, le JEX n’a pas cantonné son examen à la validité formelle de l’acte. Il a procédé à une analyse comparative entre les données du titre exécutoire (jugement du 20 septembre 2005) et celles de l’acte de cession.
Le juge de l’exécution a conclu que Cabot échouait dans la preuve qui lui incombait de démontrer que la créance acquise correspondait spécifiquement à celle résultant du titre exécutoire qu’elle prétendait mettre en œuvre. Il en résulte que la simple mention d’une créance nominale dans un bordereau de cession est insuffisante si elle n’est pas étayée par des éléments concordants prouvant qu’elle est strictement la même que celle consacrée par le titre exécutoire initial. Cet arrêt marque un renforcement bienvenu du standard de preuve en faveur du débiteur poursuivi.
Le créancier dépourvu de qualité à agir sanctionné pour saisie abusive
Le créancier sanctionné à des dommages-intérêts pour saisie abusive
L’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution confère au juge le pouvoir de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie. La saisie-attribution avait permis d’appréhender la somme de 1.759,69 euros. Le JEX a reconnu que la faute du saisissant avait causé un déficit de trésorerie à M. [F], le privant de l’usage de cette somme durant près de deux ans. Bien que le tribunal ait tenu compte de l’inertie procédurale de M. [F] (qui n’a sollicité la réinscription de l’affaire qu’en octobre 2023 après radiation), la faute initiale de Cabot était caractérisée.
En réparation du préjudice lié à cette saisie abusive, la société Cabot Financial France a été condamnée à verser à M. [F] la somme de 250 € à titre de dommages intérêts.
Toutefois, il est essentiel de souligner la modulation du quantum des dommages-intérêts alloués (250 € seulement). Le JEX a explicitement pondéré la faute du saisissant par l’inertie procédurale de M. [F], qui n’a sollicité la réinscription de l’affaire qu’en octobre 2023, suite à une radiation en avril 2022.
Cette modulation envoie un signal ambivalent : si la faute initiale du créancier (poursuites sans qualité) est sanctionnée, le débiteur ne peut se prévaloir d’un préjudice maximal si ses propres manœuvres ou son manque de diligence ont contribué à la durée de l’immobilisation des fonds. Le JEX agit ici en équité, tempérant la responsabilité de Cabot par la passivité du saisi.
Le rejet de la demande fondée sur la prescription du titre exécutoire
Le JEX a également rejeté la demande de M. [F] visant à constater la prescription du titre exécutoire, estimant que cette demande était mal dirigée contre une société qui n’avait pas qualité pour agir.
Ce rejet est juridiquement fondé. Dès lors que Cabot n’a pas qualité pour agir en recouvrement, elle ne peut être légalement considérée comme la partie à laquelle il convient d’opposer la prescription du titre exécutoire lui-même. En d’autres termes, la question de la validité du titre (sa non-prescription) est distincte de la question de la validité de la personne qui poursuit son exécution (sa qualité). Ayant perdu sa qualité de partie au litige, Cabot ne pouvait être le défendeur approprié pour statuer sur la prescription du droit, droit qui appartient théoriquement au véritable créancier (BNP Paribas).


