En pratique : l’examen des clauses abusives par le juge de l’exécution

Droit bancaire

À l’occasion d’un avis du 11 juillet 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a clarifié plusieurs points clés concernant le contrôle des clauses abusives par le juge de l’exécution. Cette décision suit une jurisprudence de plus en plus stricte de la Cour de justice de l’Union européenne.

Cass. 2e civ., 11 juill. 2024, n° 24-70.001, Publié au bulletin.

Lire en ligne :

Cour de cassation, Chambre civile 2, 11 juillet 2024, 24-70.001, Publié au bulletin

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000049989303

Les principaux documents préparatoires (avis de l’avocat général et rapport du conseiller rapporteur) sont en libre accès sur le site de la Cour de cassation :

https://www.courdecassation.fr/decision/668f75ad9b65e642c58782f0

L’affaire à l’origine de la demande d’avis : un crédit à la consommation particulièrement ancien (1998)

Dans cette affaire devant le Tribunal Judiciaire de Paris, il était question d’un crédit à la consommation particulièrement ancien.

Le 30 janvier 1998, Mme [S] avait souscrit auprès de la société Finedis une ouverture de crédit accessoire à des contrats de vente, utilisable par fractions, associée à une carte Printemps.

Le 19 décembre 1998, les sociétés Finedis et UCCM avaient fusionné pour former la société Finaref.

Par une ordonnance du 12 novembre 2003, le juge d’instance du 14ème arrondissement de Paris avait fait injonction à Mme [S] de payer diverses sommes à la société Finaref au titre du crédit du 30 janvier 1998.

Pour avoir un ordre d’idée de l’enjeu du litige : le montant des échéances impayées au jour de la déchéance du terme s’élevait à 822,55 euros.

Le 1er avril 2010, la société Finaref avait été absorbée par la société Sofinco, devenue CA Consumer Finance. Le 29 juillet 2017, cette société avait cédé sa créance sur Mme [S] à la société EOS Credirec, devenue EOS France.

En exécution de cette injonction de payer, la société EOS France avait fait délivrer à Mme [S], le 17 janvier 2019, un commandement de payer aux fins de saisie-vente, puis, le 19 octobre 2020, lui avait dénoncé un procès-verbal d’inopposabilité du certificat d’immatriculation de son véhicule.

Le 9 novembre 2020, Mme [S] avait formé opposition à l’ordonnance portant injonction de payer. Le 18 novembre 2020, Mme [S] avait assigné la société EOS France devant un juge de l’exécution. Le 24 février 2021, ce juge de l’exécution avait sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir sur l’opposition à l’injonction de payer.

Le 8 octobre 2021, un juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris avait déclaré irrecevable l’opposition à l’injonction de payer.

L’argumentation de l’emprunteur : la puissance des clauses abusives

Compte tenu de l’ancienneté de la créance, de l’enjeu du litige et de l’ordonnance d’injonction de payer obtenue 20 ans plus tôt par la Banque, certains débiteurs, s’ils avaient été à la place de Mme [S], auraient sans doute abandonné.

Heureusement, Mme [S], semble-t-il sagement conseillée, ne comptait pas se laisser faire et s’est défendue en développant une argumentation visant à faire juger abusive la clause de déchéance du terme, pour obtenir, en conséquence, l’annulation du titre exécutoire.

D’aucuns pourraient penser que l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance d’injonction de payer réduit à néant toute chance de pouvoir développer la moindre contestation devant le Juge de l’exécution.

Ce serait méconnaître la jurisprudence développée par la Cour de justice de l’Union Européenne précisant que l’autorité de la chose jugée ne peut pas faire obstacle à un contrôle d’une clause abusive et ce même au stade de l’exécution forcée quand un tel contrôle n’a pas été réalisé au préalable (CJUE 26 janv. 2017, Banco Primus, aff. C-421/14).

Les problématiques liées à l’exécution d’une décision de justice

Si l’autorité de la chose jugée ne doit pas faire obstacle au contrôle des clauses abusives pour le Juge européen, cela n’est pas sans conséquences sur les pouvoirs du juge de l’exécution : que peut-il faire s’il constate que le caractère abusif d’une clause remet en question la décision juridictionnelle constituant le titre exécutoire qui sert de fondement aux poursuites ?

En effet, rappelons que le juge de l’exécution est contraint par les règles suivantes :

  • il ne peut pas modifier ou annuler un titre exécutoire lors du contrôle d’une clause abusive en se fondant notamment sur l’article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution ;
  • il ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement quand la loi ne vient pas lui permettre de le faire.

On comprend facilement les limites de l’interprétation de la Cour de justice, qui ne s’accorde pas de façon toujours harmonieuse avec le droit procédural de certains États membres, notamment la France.

C’est la raison pour laquelle, par jugement du 11 janvier 2024, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris a transmis à la Cour de cassation une demande d’avis donc les questions posées étaient les suivantes :

« Le juge de l’exécution

• peut-il, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites ?

Dans l’affirmative,

• lorsque cette clause a pour objet la déchéance du terme, peut-il annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique, notamment lorsque l’exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance ? dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ?

• peut-il modifier cette décision de justice, en décidant qu’elle est en tout ou partie insusceptible d’exécution forcée ? dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ? »

Les solutions retenues par la Cour de cassation

Il est intéressant de noter que la deuxième chambre civile n’a pas opté pour un renvoi préjudiciel, car les réponses dépendent principalement de l’interaction entre le droit national et l’interprétation de la Cour de justice.

Il lui revenait donc de trouver des solutions pour faire concorder le droit européen avec le droit procédural français.

On peut relever que, dans son avis, l’avocat général proposait une solution originale pour régler la problématique spécifique du caractère abusif de la clause de déchéance du terme : « Lorsque la clause abusive est celle relative à la déchéance du terme, le juge de l’exécution peut modifier la décision de justice fondant les poursuites en recalculant les sommes dues, en vertu de cette décision et de sa décision réputant la clause abusive non écrite, jusqu’au premier acte valant saisie » (p. 20). Toutefois, la formulation ne sera pas reprise dans l’avis, probablement pour préserver les principes fondamentaux de la matière.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a rendu l’avis suivant :

« 1°/ Le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive.

2°/ Le juge de l’exécution, qui répute non écrite une clause abusive, ne peut ni annuler le titre exécutoire, ni le modifier. Il ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement, hors les cas prévus par la loi.

3°/ Le titre exécutoire étant privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l’exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi. Il tire ensuite toutes les conséquences de l’évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d’exécution dont il est saisi. Lorsqu’il constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure ».

Cette affaire illustre la puissance du droit des clauses abusives qui permet de remettre en question l’autorité de la chose jugée et l’application même des principes fondamentaux des voies d’exécution. Elle montre aussi la volonté de la Cour de cassation de préserver les principes fondamentaux des voies d’exécution face au droit des clauses abusives.

Que l’on soit du côté des banques ou des consommateurs, l’enseignement à tirer est que le titre exécutoire n’est jamais sécurisé tant qu’une contestation n’a pas été élevée au stade de l’exécution, y compris lorsqu’il s’agit d’une décision de justice ancienne.

On ne peut que se satisfaire de cette extension de plus en plus importante du droit des clauses abusives qui vient, certes, bousculer nos principes procéduraux fondamentaux, mais qui garantit une protection efficace du consommateur.

Texte intégral de la décision :

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 11 juillet 2024, 24-70.001, Publié au bulletin

Cour de cassation – Chambre civile 2

N° de pourvoi : 24-70.001

ECLI:FR:CCASS:2024:C215008

Publié au bulletin

Solution : Avis sur saisine

Audience publique du jeudi 11 juillet 2024

Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Paris, du 11 janvier 2024

Président

Mme Martinel

Avocat(s)

SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Me Carbonnier, SCP Boucard-Maman

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Demande d’avis

n°J 24-70.001

Juridiction : le tribunal judiciaire de Paris

LC12

Avis du 11 juillet 2024

n° 15008 P+B

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

COUR DE CASSATION

_________________________

Deuxième chambre civile

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;

Le 11 janvier 2024, le tribunal judiciaire de Paris a formulé une demande d’avis, ainsi libellée :

Énoncé de la demande d’avis

1. La Cour de cassation a reçu le 7 février 2024 une demande d’avis formée le 11 janvier 2024 par un juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, dans une instance opposant Mme [S] à la société Eos France.

2. La demande est ainsi formulée :

« Le juge de l’exécution

* peut-il, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites ?

* dans l’affirmative,

– lorsque cette clause a pour objet la déchéance du terme, peut-il annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique notamment lorsque l’exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance ? Dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ?

– peut-il modifier cette décision de justice, en décidant qu’elle est en tout ou partie insusceptible d’exécution forcée ? Dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ? »

La SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier avocats a déposé des observations écrites pour la société Eos France.

M. [K], avocat, a déposé des observations pour Mme [S].

La SCP Boucard Maman a déposé un mémoire en intervention volontaire pour la Fédération française des banques.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Adida-Canac, avocat général, entendu en ses observations orales ;

Motifs

3. La demande d’avis se rapporte aux conséquences découlant de la constatation par un juge de l’exécution du caractère réputé non écrit d’une clause abusive lorsque le titre exécutoire, dont l’exécution forcée est poursuivie, est une décision juridictionnelle.

4. Cette question de droit, qui est nouvelle et qui présente une difficulté sérieuse, est susceptible de se poser dans de nombreux litiges. La demande d’avis est, dès lors, recevable.

5. En préambule, la deuxième chambre civile rappelle que dans son arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 (affaire 106/77 ECLI:EU:C:1978:49), la Cour de justice des communautés européennes (la CJCE) a jugé :

« – qu’il découle de l’ensemble de ce qui précède que tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l’obligation d’appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire de la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire ;

– que serait, dès lors, incompatible avec les exigences inhérentes à la nature même du droit communautaire toute disposition d’un ordre juridique national ou toute pratique, législative, administrative ou judiciaire, qui aurait pour effet de diminuer l’efficacité du droit communautaire par le fait de refuser au juge compétent pour appliquer ce droit, le pouvoir de faire, au moment même de cette application, tout ce qui est nécessaire pour écarter les dispositions législatives nationales formant éventuellement obstacle à la pleine efficacité des normes communautaires. »

I. L’obligation pour le juge de l’exécution de relever d’office une clause abusive

6. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/ CEE du Conseil du 5 avril 1993, les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

7. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la même directive, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives.

8. Par un arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14 ECLI:EU:C:2017:60 Banco Primus), la Cour de justice de l’Union Européenne a dit pour droit que l’autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle, en soi, à ce que le juge national soit tenu d’apprécier, sur la demande des parties ou d’office, le caractère éventuellement abusif d’une clause, même au stade d’une mesure d’exécution forcée, dès lors que cet examen n’a pas déjà été effectué à l’occasion du précédent contrôle juridictionnel ayant abouti à la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée.

9. Concernant plus précisément l’hypothèse d’une injonction de payer, par un arrêt du 17 mai 2022 (C-693/19 et C-831/19 ECLI:EU:C:2021:615 SPV Project), la CJUE a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que lorsqu’une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d’un créancier n’a pas fait l’objet d’une opposition formée par le débiteur, le juge de l’exécution ne peut pas, au motif que l’autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l’éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction.

10. Par un arrêt du 18 janvier 2024 (C-531/22 ECLI:EU:C:2024:58 Getin Noble Bank), la CJUE, précisant cette jurisprudence, a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant qu’une juridiction nationale ne peut procéder d’office à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses figurant dans un contrat et en tirer les conséquences, lorsqu’elle contrôle une procédure d’exécution forcée fondée sur une décision prononçant une injonction de payer revêtue de l’autorité de la chose jugée :

– si cette réglementation ne prévoit pas un tel examen au stade de la délivrance de l’injonction de payer ou

– lorsqu’un tel examen est prévu uniquement au stade de l’opposition formée contre l’injonction de payer concernée, s’il existe un risque non négligeable que le consommateur concerné ne forme pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce que la réglementation nationale ne prévoit pas l’obligation que soient communiquées à ce consommateur toutes les informations nécessaires pour lui permettre de déterminer l’étendue de ses droits.

11. La Cour de cassation, saisie de cette question, s’est prononcée par deux arrêts.

12. Par un premier arrêt du 8 février 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation, sur avis de la deuxième chambre civile, (Com., 8 février 2023, pourvoi n° 21-17.763, publié) a dit qu’un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d’un prêt immobilier, qu’il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l’occasion de la procédure de saisie immobilière d’un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d’une ou plusieurs clauses de l’acte de prêt notarié dès lors qu’il ressort de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée que le juge ne s’est pas livré à cet examen.

13. Par un second arrêt (2e Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 21-14.540 publié), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la créance, le juge de l’exécution est tenu, même en présence d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, d’examiner d’office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif, pour autant qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, sauf s’il ressort de l’ensemble de la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée qu’il a été procédé à cet examen.

II. La constatation par le juge de l’exécution du caractère réputé non écrit d’une clause abusive

14. L’application du droit de l’Union européenne implique que le juge de l’exécution qui retient le caractère abusif d’une clause, doit, en application du principe d’effectivité, en tirer toutes les conséquences et la réputer non écrite. Il doit ressortir de l’ensemble de sa décision qu’il a procédé à cet examen.

15. La jurisprudence de la CJUE n’impose pas au juge de l’exécution d’indiquer dans le dispositif de sa décision un chef de dispositif réputant la clause non écrite. Elle ne le prohibe pas non plus.

16. Il convient, dès lors, d’appliquer les règles de droit interne de procédure civile.

17. Il en résulte que le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive.

III. Les conséquences de la constatation par le juge de l’exécution du caractère abusif d’une clause, lorsque le titre exécutoire est une décision juridictionnelle

Le droit de l’Union

18. Par un arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19. ECLI:EU:C:2021:470 BNP personal finance), la CJUE a dit pour droit que les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive 93/13 relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers mais que ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité).

19. Elle a précisé que l’obligation pour les États membres d’assurer l’effectivité des droits que les justiciables tirent des droits découlant de la directive 93/13 constitue une exigence de protection juridictionnelle effective, réaffirmée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive et consacrée également à l’article 47 de la Charte.

20. Par un arrêt du 13 juillet 2023 (CAJASUR Banco, C-35/22, ECLI: EU:C:2023:569), la CJUE a dit pour droit que, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec le vingt-quatrième considérant de celle-ci, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

21. Par un arrêt du 17 mai 2022 (C-869/19 ECLI:EU:C:2022:397 Unicaja Banco), la CJUE a dit pour droit qu’en ce qui concerne le principe d’effectivité, chaque cas où se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités vues comme un tout, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure.

22. En ce qui concerne les conséquences de la constatation judiciaire d’une clause abusive, par un arrêt du 15 juin 2023 (C-520/21, ECLI:EU:C:2023:478 Bank M.), la CJUE a dit pour droit qu’une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n’ayant jamais existé, de sorte qu’elle ne saurait avoir d’effet à l’égard du consommateur. Le contrat doit subsister en principe, sans aucune modification autre que la suppression des clauses abusives.

23. Elle en a déduit que la constatation judiciaire du caractère abusif d’une telle clause doit, en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait qui aurait été celle du consommateur en l’absence de cette clause, notamment en fondant un droit à restitution des avantages indûment acquis, à son détriment, par le professionnel sur le fondement de ladite clause abusive.

24. La CJUE a jugé que le principe de proportionnalité, qui constitue un principe général de droit de l’Union, exige que la réglementation nationale mettant en oeuvre ce droit n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

Le droit national

25. La directive 93/13 a été transposée dans le droit interne par la loi n° 95-96 du 1er février 1995, qui a introduit l’article L. 132-1 du code la consommation, devenu L. 212-1 du code de la consommation, actuellement en vigueur.

26. L’article L. 241-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dispose que les clauses abusives sont réputées non écrites et que le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses.

27. L’article R. 121-1, alinéa 2, du code des procédures civiles d’exécution interdit au juge de l’exécution de modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites ou d’en suspendre l’exécution.

28. Le juge de l’exécution ne peut, dès lors, ni annuler un titre, ni le modifier (2e Civ., 25 mars 1998, pourvoi n° 95-16.913, Bull. 1998, II, n° 107 ; 2e Civ., 13 septembre 2007, pourvoi n° 06-13.672, Bull. 2007, II, n° 219 ; 2e Civ., 28 septembre 2017, pourvoi n° 15-26.640, Bull. 2017, II, n° 184). Il ne peut pas non plus délivrer de titre exécutoire hors les cas prévus par la loi (2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.700, publié ; 2e Civ., 3 décembre 2015, pourvoi n° 13-28.177, Bull. 2015, II, n° 265).

29. Dès lors, il résulte, d’une part, des pouvoirs du juge de l’exécution, et, d’autre part, du droit de l’Union et de la jurisprudence de la CJUE, que le juge de l’exécution, qui répute non écrite une clause abusive, ne peut ni annuler le titre exécutoire, ni le modifier. Il ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement, hors les cas prévus par la loi.

30. Le titre exécutoire étant privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l’exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi.

31. Le juge de l’exécution tire toutes les conséquences de l’évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d’exécution dont il est saisi.

Lorsqu’il constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure.

EN CONSÉQUENCE, la Cour est d’avis que :

1°/ Le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive.

2°/ Le juge de l’exécution, qui répute non écrite une clause abusive, ne peut ni annuler le titre exécutoire, ni le modifier. Il ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement, hors les cas prévus par la loi.

3°/ Le titre exécutoire étant privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l’exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi. Il tire ensuite toutes les conséquences de l’évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d’exécution dont il est saisi. Lorsqu’il constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure.

Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 11 juillet 2024, après examen de la demande d’avis lors de la séance du 9 juillet 2024 où étaient présents, conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire : Mme Martinel, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandemange, Mme Vendryes, Mme Caillard, M. Waguette, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mme Latreille, Mme Bonnet, Mme Chevet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général et Mme Cathala, greffier de chambre ;

Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.

Le conseiller rapporteur Le président

Le greffier de chambre ECLI:FR:CCASS:2024:C215008

Mikaël Le Bot - Avocat Expert en Droit Bancaire à Paris