Le Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), géré par la Banque de France, est une composante centrale de l’activité bancaire française. Réglementé par les articles L. 751-1 à L. 752-6 du Code de la consommation, ce fichier, dit « négatif », enregistre les difficultés financières des personnes physiques. Une inscription au FICP entraîne des conséquences sérieuses, notamment l’impossibilité de contracter un crédit à la consommation ou, plus significativement, d’obtenir un crédit immobilier.
Lorsque l’inscription résulte non pas de la négligence du particulier, mais d’une usurpation d’identité par un tiers, la question de la radiation devient cruciale. La Cour d’appel de Versailles a récemment rendu un arrêt (CA Versailles, 27 mai 2025, n° 24/00308) qui vient renforcer l’obligation des établissements prêteurs de procéder à l’effacement pur et simple de l’inscription dès lors que l’usurpation est avérée.
1. Le Contexte de l’Usurpation : Un Contrat de LOA litigieux
L’affaire portée devant la Cour de Versailles impliquait Monsieur [J] [Z] [H] [I], appelant, opposé à la S.A. MERCEDES-BENZ FINANCIAL SERVICES FRANCE, intimée.
L’incident de paiement découlait d’un contrat de location avec option d’achat (LOA) portant sur un véhicule Mercedes-Benz, d’un montant de 46 356 euros, émis et signé électroniquement le 4 décembre 2020. Suite à des impayés, la société financière avait assigné M. [I] en paiement de la somme de 44 459,56 euros.
Cependant, il fut établi que M. [I] avait été victime d’une usurpation d’identité pour la souscription de ce contrat. L’intéressé, qui avait déposé plainte pour cette usurpation, sollicitait l’annulation du jugement de première instance rendu le 13 juillet 2023 par le Tribunal de proximité de Courbevoie.
En appel, la société Mercedes-Benz Financial Services France a acquiescé à l’infirmation du jugement, reconnaissant que les documents et la plainte de M. [I] lui avaient confirmé qu’il avait bien été victime d’une usurpation d’identité, et a renoncé à toute demande de paiement à son encontre.
2. Le Débat Central : Radiation Pure et Simple ou Mention Spécifique ?
Malgré la reconnaissance de l’usurpation d’identité et l’abandon de ses poursuites en paiement, l’établissement financier s’est opposé à la demande de radiation complète du FICP.
La Position de l’Établissement
La S.A. MERCEDES-BENZ FINANCIAL SERVICES FRANCE a demandé à la cour de lui donner acte de son accord pour mentionner sur le FICP que M. [I] avait été victime d’une « identité usurpée ».
L’établissement soutenait que cette mention était plus adaptée et protectrice des intérêts de la victime. Selon sa logique, une radiation pure et simple permettrait à l’usurpateur de contracter d’autres crédits au nom de M. [I] ; la mention « identité usurpée » serait donc une protection supérieure.
La Demande et le Préjudice de la Victime
M. [I], l’appelant, demandait que la Cour enjoigne à la société de procéder à la radiation pure et simple de son inscription du FICP, assortie d’une astreinte. Il faisait valoir que le maintien de son inscription, même modifiée, faisait obstacle à ses projets de financements bancaires.
Le préjudice était concret : M. [I] justifiait d’un refus de prêt immobilier en raison de cette interdiction bancaire.
3. La Solution de la Cour : Le Droit Impératif à la Radiation
La Cour d’appel de Versailles a statué en faveur de la radiation complète, écartant la proposition de la mention « identité usurpée ».
L’erreur de l’inscription
La Cour s’est appuyée sur le cadre légal du FICP. Bien que l’article L. 752-1 du Code de la consommation impose aux entreprises de déclarer les incidents de paiement caractérisés, l’article 8 alinéa 4 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif au FICP est clair : les renseignements centralisés doivent être modifiés ou effacés par la Banque de France dès la réception de l’indication fournie par l’établissement que la déclaration initiale était erronée.
Puisqu’il n’était pas contesté que M. [I] n’était pas le souscripteur du crédit litigieux, la Cour a conclu qu’il n’avait aucune raison d’être inscrit sur ce fichier.
Le rejet de la mention « Identité Usurpée »
La Cour a rappelé que « il n’appartient pas à cet établissement de décider quelle mention serait la plus adaptée pour M. [I] ».
Comme l’a souligné la doctrine, les mentions qui ne sont pas explicitement prévues par les textes ne doivent pas figurer sur le FICP. Leur présence, même informative, peut avoir des « incidences fâcheuses pour l’intéressé » lors de l’obtention d’un futur crédit. Le droit à l’effacement intégral doit donc être garanti.
4. Les Sanctions de l’Inaction du Créancier
Face au refus persistant de la société Mercedes-Benz Financial Services France de procéder à la radiation malgré les demandes, la Cour a jugé qu’il fallait faire droit à la demande de radiation sous astreinte.
L’établissement a été condamné à effectuer les démarches auprès de la Banque de France pour la radiation de M. [I] dans un délai d’un mois suivant la signification de l’arrêt. Passé ce délai, une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard s’appliquerait durant une période de 3 mois.
Condamnation pour Procédure Abusive
L’arrêt de la Cour de Versailles va plus loin en sanctionnant l’établissement pour procédure abusive sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.
M. [I] soutenait que la procédure avait été engagée de manière malveillante. La Cour a relevé plusieurs éléments démontrant la mauvaise foi de la société financière :
- La société avait été avisée de l’usurpation d’identité par M. [I] dès novembre 2022, mais avait initié la procédure judiciaire.
- Elle avait assigné M. [I] à une ancienne adresse et à celle de l’usurpateur, l’empêchant de prendre connaissance de la procédure et de se présenter devant le premier juge (rendant le jugement du 13 juillet 2023 réputé contradictoire).
- Elle n’avait pas fait état de la situation d’usurpation d’identité devant le premier juge.
La Cour a jugé que la société avait fait dégénérer l’exercice de son action en justice en abus, et l’a condamnée à verser à M. [I] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision marque un point de non-retour : en cas d’usurpation d’identité, l’établissement est tenu d’effacer l’inscription et ne peut imposer une mention spéciale non prévue par les textes, sous peine d’être contraint par une injonction sous astreinte.