Assurance-vie et Prêt In Fine : Interdépendance, Renonciation, Caducité et Restitutions

La combinaison d’un contrat d’assurance-vie et d’un prêt in fine, souvent destiné à en financer l’abondement, est un montage financier courant qui, malgré des perspectives de plus-value, expose le souscripteur à des risques significatifs, notamment en cas de crise financière impactant les placements en unités de compte. Face à des pertes, la question de la renonciation au contrat d’assurance-vie et de son impact sur le prêt associé devient cruciale. La jurisprudence de la Cour de cassation a affiné la notion d’interdépendance et ses effets sur la caducité des contrats.

I. La renonciation au contrat d’assurance-vie : un mécanisme de protection du souscripteur

Le droit de renonciation est un mécanisme fondamental de protection du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie, lui permettant de se désengager de son engagement dans certaines conditions.

A. Fondement et conditions de la renonciation

Le droit de renonciation est encadré par le Code des assurances.

  1. Le droit légal de renonciation initial (Article L. 132-5-1 du Code des assurances) L’article L. 132-5-1 du Code des assurances confère au souscripteur d’un contrat d’assurance-vie la faculté de renoncer à son engagement dans un délai légal à compter de la conclusion du contrat. Ce droit vise à offrir un temps de réflexion et de rétractation après la signature.
  2. La prorogation du délai de renonciation en cas de manquement informationnel (Article L. 132-5-2 du Code des assurances) La loi prévoit une protection accrue pour le souscripteur en cas de manquement de l’assureur ou de l’intermédiaire à son obligation d’information. Si la banque n’a pas remis l’intégralité des documents d’information requis au moment de la souscription du contrat, la faculté de renonciation est prorogée (par exemple : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 mars 2024, 22-21.451, Publié au bulletin).

B. Nature et portée de la renonciation

La renonciation des effets significatifs sur le contrat d’assurance-vie et, par ricochet, sur les prêts qui lui sont liés.

  1. Un « repentir tardif » avec effet rétroactif La renonciation peut être analysée comme un « repentir tardif » ou une « renonciation à contracter ». Son effet est rétroactif, ce qui signifie que le contrat d’assurance-vie est censé n’avoir jamais existé. En d’autres termes, pour reprendre une image, le « domino assurance » n’a pas seulement chuté, il est « censé n’avoir jamais figuré dans le jeu« .
  2. Conséquence directe : la restitution des sommes versées La conséquence immédiate de la renonciation est la restitution des sommes que le souscripteur avait versées à l’assureur. Cette restitution permet d’effacer les pertes éventuellement subies sur le contrat d’assurance-vie, notamment en période de crise financière impactant les unités de compte.
  3. Le lien avec le prêt in fine Lorsque le contrat d’assurance-vie est lié à un prêt in fine, son « anéantissement » par la renonciation peut entraîner la « disparition » ou la « caducité » du contrat de prêt. C’est là que la notion d’interdépendance contractuelle prend toute son importance, car elle détermine si le sort de l’un des contrats entraîne celui de l’autre.

C. L’enjeu de la renonciation dans les montages in fine

L’opération combinant assurance-vie et prêt in fine est conçue avec l’hypothèse que l’augmentation de la valeur du contrat d’assurance-vie dépassera le montant des intérêts du prêt, permettant le remboursement du capital emprunté et la réalisation d’une plus-value pour l’emprunteur sans apport personnel.

Cependant, cette opération peut s’avérer « désastreuse » lorsque, par suite d’une crise financière, l’inverse se produit et que la valeur du contrat d’assurance-vie chute. Dans ce scénario, la renonciation devient une solution pour le souscripteur afin de « faire face » au remboursement du prêt ou, du moins, d’effacer les pertes sur le contrat d’assurance-vie.

II. La notion d’interdépendance contractuelle : une question d’intention et d’économie générale

L’interdépendance entre un contrat d’assurance-vie et un prêt in fine est un concept clé qui détermine si la « chute » de l’un entraîne celle de l’autre. Cette interdépendance peut être de deux ordres : objective ou subjective.

  • L’indivisibilité objective se manifeste lorsque la disparition d’un contrat rend impossible l’exécution des autres contrats composant la même opération. Dans le contexte d’un prêt in fine adossé à une assurance-vie, la jurisprudence a souvent écarté cette forme d’indivisibilité. La renonciation à l’assurance-vie, entraînant la restitution des sommes versées à l’assureur, ne rend pas nécessairement impossible le remboursement du prêt par l’emprunteur, même si la charge des intérêts peut être importante.
  • L’indivisibilité subjective, en revanche, est celle qui est privilégiée par la jurisprudence. Elle repose sur la commune intention des parties de lier les conventions, peu important qu’elles puissent être matériellement exécutables indépendamment les unes des autres. Pour caractériser cette intention, les juges se basent sur un faisceau d’indices, notamment :
    • La conclusion concomitante des contrats de prêt et d’assurance-vie pour la même durée.
    • Le fait que le prêt soit destiné à abonder l’assurance-vie.
    • L’existence d’une délégation de créance ou d’un nantissement du contrat d’assurance-vie au profit de la banque prêteuse.
    • L’intervention de la banque prêteuse en tant qu’interlocutrice exclusive de l’assuré pour l’adhésion au contrat d’assurance-vie, agissant parfois en qualité de courtier.
    • L’économie générale de l’opération, qui vise à ce que les produits de l’assurance-vie, à terme, excèdent le coût du prêt pour rembourser le capital emprunté et générer une plus-value pour l’emprunteur sans apport personnel.

La Cour de cassation a réaffirmé cette approche dans son arrêt du 13 mars 2024 (Cass. 1 re civ., 13 mars 2024, n°22-21.451, FS–B), approuvant une cour d’appel d’avoir déduit l’interdépendance de ces éléments, « peu important qu’elles fussent matériellement exécutables indépendamment les unes des autres« . Cette position s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle préexistante, confirmant que l’interdépendance peut être purement subjective.

III. Les effets de la renonciation à l’assurance-vie : caducité du prêt et cadre des restitutions

Lorsqu’un manquement contractuel, tel que le défaut de remise des documents d’information requis par la loi, a privé un souscripteur de la possibilité d’exercer sa faculté de renonciation au contrat d’assurance-vie (prévue à l’article L. 132-5-1 du Code des assurances et prorogée dans les conditions de l’article L. 132-5-2), et que l’interdépendance des contrats est établie, la situation juridique des prêts s’en trouve directement affectée.

  • La caducité des prêts interdépendants : L’article 1134 ancien du Code civil, applicable en l’espèce, énonce clairement que lorsqu’un contrat d’assurance-vie et des prêts sont interdépendants, la renonciation au premier entraîne, à la date où elle produit ses effets, la caducité des seconds. La caducité, en tant que sanction de la disparition d’un élément essentiel du contrat en cours d’exécution, peut avoir des effets rétroactifs, permettant au souscripteur-emprunteur de prétendre à la restitution des intérêts versés, car le prêt perd alors toute son utilité.

  • La portée limitée des restitutions : Cependant, la Cour de cassation a apporté une précision fondamentale et innovante concernant l’étendue des restitutions. Elle a jugé que la caducité « ne peut donner lieu à des restitutions que si les contrats caducs n’ont pas été entièrement exécutés à la date d’exercice de la faculté de renonciation » (Cass. 1 re civ., 13 mars 2024, n°22-21.451, FS–B).

Cette limitation est cruciale et a été illustrée par l’affaire jugée le 13 mars 2024 (n° 22-21.451). Dans ce cas, M. [U] avait souscrit plusieurs prêts successifs. La cour d’appel avait prononcé la caducité rétroactive de tous les prêts, y compris ceux déjà entièrement exécutés, et condamné la banque à restituer plus de 4,8 millions d’euros d’intérêts. La Cour de cassation a cassé cette décision, estimant qu’à la date de la renonciation, seule la dernière convention de crédit (celle du 3 mars 2010) n’avait pas été entièrement exécutée et pouvait, à ce titre, donner lieu à restitution.

Implications de cette limitation :

  • La caducité ne s’applique qu’aux contrats qui sont encore en cours d’exécution et qui n’ont pas encore épuisé leurs effets au moment de la disparition de l’élément essentiel (ici, la renonciation à l’assurance-vie).
  • Un contrat déjà arrivé à son terme par l’écoulement du temps ne peut être déclaré caduc à la suite à la renonciation du contrat d’assurance-vie, car son extinction n’est pas la conséquence de cette disparition.
  • Cette position tempère l’idée, parfois soutenue par les juges du fond, selon laquelle l’ensemble des prêts formerait une « seule et même opération » justifiant la caducité de tous les crédits.
  • Bien que des pistes juridiques alternatives (telles que la nullité pour absence de cause ou de but) puissent être explorées pour les contrats déjà exécutés, la Cour de cassation, par son « rigorisme », tend à limiter ces possibilités.

    Conclusion

    L’interdépendance des contrats d’assurance-vie et des prêts in fine, bien que « matériellement exécutables indépendamment les unes des autres« , est solidement ancrée dans la jurisprudence dès lors que la commune intention des parties de les lier est établie. La renonciation à l’assurance-vie, prorogée en cas de manquement informationnel, entraîne bien la caducité des prêts interdépendants. Cependant, les restitutions d’intérêts et autres sommes sont strictement limitées aux contrats qui n’étaient pas entièrement exécutés à la date de l’exercice de la faculté de renonciation.

    Cette jurisprudence, bien que protectrice du souscripteur en cas de pertes sur l’assurance-vie, offre une portée circonscrite aux restitutions. Pour les professionnels du droit, la compréhension approfondie de cette notion d’interdépendance et de ses effets précis est indispensable pour conseiller efficacement les clients et anticiper les conséquences des litiges. La prudence s’impose, tant dans le montage initial de ces opérations que dans la stratégie judiciaire en cas de déboires financiers.

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